Le procès de deux policiers accusés d’avoir notamment séquestré et maltraité un sans-abri s’est ouvert lundi

Séquestré et menacé de mort avec un pistolet sous de copieuses injures : Tobie-Charles Angers-Levasseur, sans-abri du centre-ville qui aurait été abandonné à la campagne par deux agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), a livré un troublant témoignage alors que le procès des policiers débutait lundi matin.

« Tu t’es pas encore suicidé, toi ? On veut pu te voir ici ! »

« Qu’est-ce que t’attends pour te pitcher en bas d’un pont ? Tu rendrais service à tout le monde. »

Ce sont les insultes qu’aurait reçues M. Angers-Levasseur lors d’une interpellation policière survenue en mars 2010, au centre-ville de Montréal.

Dans la rue depuis l’adolescence, il aurait été déplacé loin de ses repères par les agents Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte, qui l’auraient également menacé avec une arme à feu. Les policiers de Montréal impliqués dans cette affaire ont été accusés en 2018 de séquestration, de menaces de causer la mort et de voie de fait à l’endroit de Tobie-Charles Angers-Levasseur.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Les accusés Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte

À l’époque, il était connu des policiers du secteur comme consommateur de fentanyl et de cocaïne. « Les policiers me connaissent par cœur. Je n’ai jamais eu de bonnes relations [avec eux]. Ils me déplacent quand j’essaie de mendier. »

L’homme aujourd’hui âgé de 38 ans est toujours sans domicile fixe.

Humilié et terrifié

Les faits remontent à la soirée du 31 mars 2010, affirme la victime. Mécontent de s’être fait voler de l’argent, M. Angers-Levasseur jette un arbuste décoratif sur le bord du trottoir au coin du boulevard De Maisonneuve et de la rue Drummond, a-t-il raconté à la juge Geneviève Graton.

Une camionnette du SPVM fait irruption au même moment.

Selon la victime, les agents l’interpellent avec « des commentaires baveux ».

Le superviseur présent dans le VUS de police aurait saisi un marqueur Sharpie dans la poche de la victime. Il aurait selon lui tenté d’écrire sur son front. « Pour me ridiculiser », a-t-il ajouté.

Les agents Furlotte et Guay se seraient ensuite présentés à bord d’une autre voiture de patrouille. Ils auraient menotté la victime tout en l’abreuvant d’insultes, allant jusqu’à l’inciter à se jeter en bas d’un pont. « Ils me traitaient de vidange […] Mais je suis habitué », a raconté l’homme.

Il aurait aussi entendu une voix d’homme suggérer qu’il fallait lui mettre un sac de papier sur la tête, raconte-t-il. Plus tard, ce plan se concrétise devant le poste de quartier 20, selon la version des faits de M. Levasseur.

« Un sac poubelle va faire l’affaire pour une poubelle comme toi », lui aurait dit l’un des agents avant de recouvrir son visage avec l’objet, lui bloquant entièrement la vue. Les agents l’auraient également aspergé de Windex. « Je suis itinérant, je dégage des odeurs », a commenté M. Angers-Levasseur au tribunal.

Il aurait plus tard été conduit à Sainte-Anne-de-Bellevue, sur le bord de l’autoroute 40.

Les deux policiers suggèrent de l’aider à se suicider puisqu’il n’en est pas capable, selon son récit. Il aurait alors entendu un bruit de pistolet. « C’était un déclic. À l’arrière de ma tête, je sens comme une pression », a-t-il précisé à la juge Graton.

Une fois le sac retiré de son visage et ses poignets libérés des menottes, il regarde le véhicule de patrouille s’éloigner. Il ignore comment regagner le centre-ville, précise-t-il. Un automobiliste le conduit à une station-service, où il appelle le 911 d’une cabine téléphonique.

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Il devait être 2 h du matin et il faisait un peu frisquet, s’est remémoré la victime en s’essuyant les yeux avec un mouchoir, laissant échapper un timide sanglot.

« J’étais traumatisé. J’avais jamais été aussi content d’être encore en vie. »

Des rides terrifiantes

« Les policiers avaient l’habitude de me donner des rides. Tannés de me voir errer, ils se débarrassaient de moi de cette façon », a décrit la victime avec cohérence et de nombreux détails lors de son témoignage.

La victime explique comment, à cette époque, certains policiers du poste 20 le « déportaient » en dehors de la ville. Une terrifiante routine, selon le témoignage.

M. Angers-Levasseur affirme s’être retrouvé plusieurs fois dans cette situation, laissé à lui-même, sans repères ni argent, a-t-il expliqué à la juge Graton. « Une fois, c’était le week-end. Ça m’a pris deux jours revenir au centre-ville. »

Il avait l’habitude d’enlever ses souliers dans la voiture de patrouille lorsque les policiers tentaient de l’éloigner du centre-ville. Il espérait ainsi « empester le véhicule » pour se faire sortir du véhicule avant.

« C’est une technique que j’ai trouvée pour les écœurer », raconte-t-il.

Le contre-interrogatoire de la victime est prévu mardi. Le ministère public est représenté par Mes Julien Tardif et Vincent Huet. Mes Michel Massicotte et Nicolas St-Jacques défendent les deux agents du SPVM.

Les accusations ont été portées (2018) longtemps après les faits (2010) car le dossier des agents Guay et Furlotte a été revu par l’équipe mixte mise sur pied après les scandales qui ont éclaboussé le SPVM en 2017.