Les juges de la Cour du Québec continueront de siéger moins souvent cet automne, au grand dam du gouvernement Legault. La Cour supérieure du Québec refuse de suspendre la décision controversée de la juge en chef de réduire le nombre de jours sur le banc des juges de la Cour du Québec en matière criminelle et pénale.

Le bras de fer politique entre le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette (aussi procureur général du Québec), et la grande patronne de la Cour du Québec se poursuit discrètement devant les tribunaux depuis quelques semaines. Québec demande un sursis de la décision de la juge en chef, une mesure exceptionnelle. Dans un jugement daté du 3 novembre mais rendu public lundi, le juge Pierre Nollet, de la Cour supérieure, rejette cette demande.

Le ratio de jours siégés par les juges est au cœur du litige. Depuis longtemps, les juges de la Chambre criminelle et pénale entendent des causes deux journées sur trois et délibèrent dans leur bureau la troisième journée.

Or, la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, a réorganisé l’horaire des magistrats cet automne. Résultat : les 160 juges au criminel et au pénal (sur 308) ne siègent désormais qu’un jour sur deux.

Cette réorganisation entraîne en pratique la perte de 4617 jours d’audition, relève-t-on dans le jugement. Le gouvernement du Québec craint ainsi que cette décision entraîne rapidement une explosion des délais judiciaires surpassant les plafonds fixés par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan. Pour compenser cette perte, la juge en chef Rondeau réclame l’ajout de 41 juges. Or, Québec refuse de consentir à cette demande et estime d’ailleurs impossible de créer autant de postes aussi rapidement.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, lors de la rentrée judiciaire en septembre dernier.

La juge en chef Rondeau justifie ce nouvel horaire par l’alourdissement de la tâche des juges au fil des années, notamment en raison des nombreuses requêtes en matière de Charte, de l’augmentation des personnes non représentées et de la nécessité de rendre des jugements écrits motivés de façon plus rigoureuse.

Un rapport produit par un juge retraité en novembre 2021 souligne également l’explosion des contestations relativement aux techniques d’enquête policière. Les juges doivent alors analyser pendant plusieurs heures de l’écoute électronique pendant leur période de délibéré.

Notons que le salaire des juges de la Cour du Québec est passé de 254 518 $ à 310 000 $ le 1er juillet dernier.

« Que fait le ministère à cet égard ? »

Devant l’impasse des discussions entre Québec et Lucie Rondeau, le ministre Jolin-Barrette s’est tourné l’été dernier vers la Cour d’appel dans le cadre d’un renvoi pour empêcher l’application du nouvel horaire des juges. En parallèle, le procureur général du Québec (PGQ) a demandé à la Cour supérieure d’imposer un sursis dans l’attente de la décision de la Cour d’appel.

La barre est toutefois très haute pour accorder un sursis. Le demandeur doit démontrer qu’un « préjudice irréparable » serait causé sans l’intervention du tribunal. Le PGQ a ainsi tenté de démontrer que la décision de la juge en chef allait inévitablement augmenter les délais. Selon des projections du ministère de la Justice, seulement 31 775 causes seront fermées si le sursis n’est pas accordé, presque deux fois moins qu’en temps normal.

Or, le juge Pierre Nollet, de la Cour supérieure, n’a pas été convaincu par les arguments du PGQ. Avant même la décision de la juge en chef Rondeau, des « délais systémiques beaucoup plus importants » existaient, souligne-t-il.

L’âge médian des causes actives est passé de 217 jours en 2017-2018 à une projection de 329 jours en 2021-2022 avant même le changement d’horaire.

« Que fait le ministère à cet égard ? Malgré toutes les mesures mises en place et exposées dans la preuve du PGQ, l’âge médian des causes actives explose. Le simple fait que la Décision risque de causer des délais additionnels ne peut établir un préjudice irréparable distinct de celui qui existe déjà sans la Décision », analyse le juge Nollet.

Le PGQ n’a donc pas fait la preuve que des « droits fondamentaux » étaient « réellement en jeu » par la décision de la juge en chef, fait valoir le juge Nollet. Également, l’existence d’un préjudice irréparable causé par cette décision n’est pas établie, bien que l’augmentation des délais judiciaires fasse « peu de doute », soutient-il.

Suspendre le nouveau ratio serait aussi contraire à l’intérêt public, ajoute le juge Nollet. Comme les causes sont déjà fixées en vertu du nouvel horaire, il faudrait modifier les rôles, ce qui entraînera nécessairement des demandes de remise. « Le fait de reporter une cause déjà fixée sera à coup sûr encore plus dévastateur », estime le juge Nollet.