Le CHU Sainte-Justine pourra extuber un enfant de 5 ans qui a été placé dans un profond coma après avoir été trouvé au fond d’une piscine, en juin dernier. Le centre hospitalier a eu recours aux tribunaux puisque les parents s’opposent au plan de traitement. Ils craignent que l’extubation provoque le décès de leur garçon et souhaitent l’intervention de Dieu et la réalisation d’un miracle pour sauver leur fils.

Le garçon a été trouvé au fond de la piscine familiale le 12 juin dernier. Il est resté sous l’eau entre 15 et 20 minutes.

« Dès [son arrivée à l’hôpital], le pronostic est sombre et dévastateur », lit-on dans la décision rendue par le juge Bernard Jolin de la Cour supérieure du Québec, mardi. L’enfant est « ventilo-assisté » à l’aide d’un tube, il est nourri par gavage, il a une atteinte sévère du tronc cérébral. Dans les jours qui suivent, il souffre d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë, de dysfonction cardiaque et d’épisodes de convulsions, entre autres.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le CHU Sainte-Justine, à Montréal

Des signes démontrent néanmoins que l’enfant peut respirer de manière autonome. L’équipe médicale de Sainte-Justine propose donc, le 16 juin, de retirer le tube endotrachéal qui assure la ventilation mécanique du garçon. « Cette ventilation est contre-indiquée pour son état. Inutile pour améliorer sa condition neurologique, elle est susceptible de causer des dommages sérieux, voire fatals », soutiennent les médecins.

Les parents de l’enfant s’opposent toutefois à cette extubation.

Si [les parents] comprennent les conséquences d’un statu quo, ils craignent par-dessus tout que la manœuvre entraîne [la] mort [de l’enfant].

Extrait de la décision rendue par le juge Bernard Jolin

« La réaction de la mère est particulièrement vive. Sa foi en Dieu l’amène à espérer que son enfant émergera du coma dans lequel il est plongé », lit-on au paragraphe suivant.

Les parents croient également que le plan de traitement repose sur des considérations financières pour « épargner des coûts et un fardeau pour la société ».

Un second avis demandé

Le 1er août, un second avis est demandé à un spécialiste de l’Hôpital de Montréal pour enfants. Le DSam Shemie procède à un examen complet du patient afin de réviser son dossier médical.

Le médecin soutient que l’enfant ne retrouvera aucune qualité de vie. « Il restera inconscient, ce qui signifie [qu’il n’aura] pas de pensées, pas d’audition, pas de vision, pas de mouvements intentionnels, [il sera] dépendant pour tous les aspects de la vie quotidienne, il ne marchera/parlera/se nourrira jamais », écrit-il dans son rapport.

« Ma recommandation d’un point de vue médical est une extubation à sens unique et des soins de confort de fin de vie en cas d’échec. Cependant, comme l’ont clairement exprimé les parents, c’est Dieu, et non les médecins, qui décide », ajoute-t-il.

Lors d’une rencontre avec les médecins de Sainte-Justine le 17 août, les parents expriment leur désaccord quant à la méthodologie du médecin sollicité pour donner ce deuxième avis. En cour, ils contestent également ses qualifications.

Les parents souhaitent à tout prix que l’enfant soit réintubé en cas d’échec de l’extubation. Un « essai » permettrait de « maximiser les chances de succès d’une extubation subséquente », soutiennent-ils. Or, les médecins affirment que la réintubation entraînerait des risques de pneumonie, d’inflammation de la trachée, de complications infectieuses et de déconditionnement musculaire.

[L’]objectif [des parents] consiste à maintenir [l’enfant] intubé aussi longtemps que possible pour permettre l’accomplissement d’un miracle.

Extrait de la décision rendue par le juge Bernard Jolin

« Le père « ressent que [son fils] sera le premier cas à vivre un rétablissement complet et qu’il pourra retourner à son état de base » », indique un document étayant le point de vue des parents, déposé en preuve par la défense.

Un refus « contraire au meilleur intérêt de l’enfant »

Mardi, le juge Bernard Jolin a toutefois tranché : il a autorisé les médecins du centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine à procéder au plan de traitement qui inclut l’extubation. L’enfant pourra recevoir de l’oxygène, des médicaments, et on lui retirera ses sécrétions, notamment.

« Malgré toute l’empathie qu’il peut éprouver, le Tribunal conclut que le refus des parents de consentir au plan [de traitement] n’est pas justifié et contraire au meilleur intérêt de l’enfant », écrit le juge Jolin.

Il a d’ailleurs rappelé que les valeurs morales ou religieuses des titulaires de l’autorité parentale ne peuvent pas « faire obstacle à l’intervention du Tribunal si l’intérêt de l’enfant exige que des soins lui soient prodigués ».

Encore quelques jours

L’avocat de la famille, MPatrick Martin-Ménard, a affirmé que ses clients n’avaient pas de commentaires pour le moment.

Le CHU Sainte-Justine a confirmé à La Presse qu’il respectera le délai prévu par la loi pour permettre à la famille de faire appel. L’hôpital a d’ailleurs indiqué qu’il a de façon « exceptionnelle » recours aux tribunaux.

« Le centre hospitalier demeure sensible au drame que traverse cette famille et continue de l’accompagner en cette période difficile », a indiqué le centre hospitalier dans une déclaration écrite.

Une version précédente de ce texte indiquait que « l’avocat de la famille, MPatrick Martin-Ménard, a demandé quelques jours afin que ses clients puissent prendre connaissance de la décision ». En fait, les parents ont pris connaissance du jugement. Ils ont préféré ne pas le commenter.

L’intérêt de l’enfant avant tout

L’avocat Jean-François Leroux, spécialisé en responsabilité médicale, affirme que les hôpitaux ont plus souvent recours aux tribunaux en psychiatrie, lorsque les patients ne sont pas aptes à donner leur consentement au sujet des soins à recevoir. En pédiatrie, les cas sont plus rares, soutient-il.

« Dans le cas d’une personne de moins de 18 ans, la décision doit être prise dans [l’intérêt supérieur] du mineur. À l’inverse, une personne majeure peut prendre une décision qui va à l’encontre de son bien-être », explique MLeroux.

« Le meilleur exemple, c’est celui des transfusions sanguines, ajoute-t-il. Une transfusion sanguine pourrait être imposée à une personne de 17 ans qui refuserait les soins pour des motifs religieux alors que le personnel médical pourrait reconnaître l’autonomie décisionnelle d’une personne de 18 ans si on considère qu’elle est apte. »

MLeroux affirme d’ailleurs qu’il existe une jurisprudence abondante qui favorise les soins plutôt que la liberté de religion des enfants. « Les tribunaux vont toujours préférer la preuve d’expert présentée par la communauté scientifique pour déterminer [l’intérêt supérieur] de l’enfant. Quels sont les avantages et les désavantages d’un traitement ? Quels sont les avantages et les désavantages d’un non-traitement ? Le juge arbitre […] à la lumière de ces critères. »

Émilie Bilodeau, La Presse