« Tu veux m’enlever les enfants », « Je vais te pourchasser », « Tu dois m’obéir » : piégée dans le cercle vicieux de la violence conjugale, Gisèle Itale Betondi avait rapporté à sa sœur et à sa tante ces paroles troublantes qu’aurait prononcées son mari Hosea Amorus Puhya quelques semaines avant qu’elle soit poignardée à mort.

Ce drame aurait pu être évité si on avait gardé l’accusé derrière les barreaux, plaide la famille de la mère de trois enfants tuée le 8 septembre dernier dans le stationnement de son logement de LaSalle, à Montréal. Elle a reçu plusieurs coups de couteau avant de succomber à ses blessures. Son partenaire, Hosea Amorus Puhya, est accusé de meurtre prémédité en lien avec cette affaire. Il a plaidé non coupable.

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Gisèle Itale Betondi

« Je ne comprends pas pourquoi on l’a remis en liberté. »

Assise dans le modeste appartement de LaSalle où habitait sa nièce, Clarice Betondi pousse un long soupir. Des jouets pour enfants traînent sur le plancher grisâtre. « Ça faisait longtemps qu’elle me parlait de son mari violent. On lui disait de le quitter, mais elle avait peur », dit-elle lors d’une rencontre avec La Presse mercredi.

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Stationnement du logement de Gisèle Itale Betondi, à LaSalle, où cette dernière a été poignardée à mort

L’homme de 50 ans venait en effet d’être libéré après avoir été détenu en lien avec le non-respect de conditions. Il avait par le passé fait face à des accusations de violences conjugales envers Mme Betondi, 29 ans, mais avait été acquitté au mois de juin.

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Gisèle Itale Betondi a été tuée le 8 septembre dernier dans le stationnement de son logement de LaSalle.

Elle subissait – selon sa famille – de la violence physique et verbale depuis plus d’un an.

« Elle nous appelait chaque fois. Mais on lui disait : appelle plutôt la police », explique sa tante, les bras croisés et les yeux cernés.

Le mari détenu, puis acquitté

Puis il y a eu la fois de trop. L’hiver dernier, Gisèle Betondi a téléphoné à sa tante en panique. Elle était alors dehors, pieds nus et sans manteau. « Elle m’a raconté être sortie de l’appartement car il la poursuivait avec un couteau. Là, la police est intervenue. »

Puhya est alors arrêté, puis détenu. Il a par la suite été acquitté.

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Josiane Betondi, sœur de la victime

La victime était manipulée par son mari et sa belle-famille et donc très encline à retirer sa plainte, pense Josiane Betondi, sœur de la victime.

Elle avait peur de son agresseur, minimisait le contrôle qu’il avait sur elle et il lui était défendu de prendre des décisions concernant la maison, les finances ou ses propres enfants, selon la sœur.

Pendant qu’il était en prison, elle nous disait que la famille de son mari l’appelait chaque jour. Ils la faisaient sentir coupable, comme si c’était de sa faute s’il était détenu.

Josiane Betondi, sœur de la victime

Contrôle et manipulation

Une fois remis en liberté, il semblait très en colère, car la victime lui avait désobéi au sujet du nom à donner à leur troisième enfant, âgé de quelques mois au moment où son père était en prison, raconte la tante de Gisèle Betondi. « Il ne voulait pas qu’elle choisisse le prénom. Elle n’avait pas le droit. Il la contrôlait complètement », explique Clarice Betondi, à qui Gisèle Betondi se confiait.

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Clarice Betondi, tante de la victime

La Presse a pu consulter les dernières conversations écrites entre la défunte et son mari quand ce dernier est sorti de prison.

« Enlève ce nom choisi par Satan et prends le nom que je te donne. Ça fait la 10e fois que je te le rappelle. Fais-le maintenant avant que ça allume un autre feu entre nous », avait écrit l’accusé dans un échange datant du 3 septembre, à peine une semaine avant le meurtre.

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Conversation entre Gisèle Betondi et son mari, dans laquelle ce dernier insiste pour choisir le nom de leur enfant

La victime lui avait alors demandé de cesser tout contact et d’aller consulter un psychiatre.

Gisèle Betondi n’avait pas accès à un compte en banque. Elle devait donc passer par lui pour dépenser, selon sa famille.

Lorsqu’elle remettait en question ses consignes, il la bombardait de vidéos YouTube axées sur la religion, rappelant qu’ils étaient mariés, d’après sa sœur. « Elle était très croyante », précise Josiane Betondi au sujet de sa sœur.

Un cercle vicieux

En janvier dernier, Mme Betondi avait écrit à son mari. « Que Dieu te bénisse pour tout ce que tu as fait pour moi, mais la prochaine fois que tu entends parler de moi, ce sera pour un divorce. »

Elle avait toutefois poursuivi la relation. « Il lui a permis de vivre au Canada et ils ont eu trois enfants. Elle se sentait coupable de le laisser », explique sa sœur Josiane Betondi, travailleuse sociale.

Le couple s’était rencontré en 2015 dans son pays d’origine, le Cameroun. Hosea Puhya habitait déjà au Québec à l’époque.

Il est très commun pour une victime de violence conjugale de défendre son agresseur, de revenir vers lui ou encore de cacher certains détails aux proches, croit Josiane Betondi. « C’est très dur de s’en sortir. »

Comme les parents de la défunte sont au Cameroun et ne disposent pas d’un visa pour se déplacer au Québec, la tante et la sœur de Gisèle Betondi tentent d’amasser des fonds pour les funérailles, explique Clarice Betondi. La famille envisage de rapatrier la dépouille dans son pays natal.

C’est une manière horrible et violente de quitter ce monde. On veut qu’elle soit enterrée paisiblement là où elle a grandi.

Clarice Betondi, tante de la victime

Retourner avec un conjoint violent, retirer une plainte, mentir à son entourage ou minimiser la violence vécue au sein d’un couple : tous ces actes sont très communs pour les victimes prises dans des situations risquées, souligne Claudine Thibaudeau, de l’organisme SOS violence conjugale.

« Ce sont des façons de se protéger. Les craintes sont fondées. Les victimes ont raison d’avoir peur », explique l’experte. Des femmes effrayées par leur partenaire violent craignent qu’une plainte ou une rupture envenime sa situation. Lorsqu’il y a des enfants dans le portrait, la victime est consciente qu’un lien perdurera avec le père et pense à leur sécurité. « On juge souvent les victimes comme si leurs décisions étaient mûrement réfléchies. Mais ces décisions sont en fait des réactions à des situations d’urgence. »

C’est pourquoi une victime peut porter plainte contre son bourreau, mais le défendre le lendemain.

Féminicides présumés en 2022 au Québec

  • 18 février : Patrizia Rao
  • 19 février : Maria Cristovao
  • 31 mars : Madeleine Désormeaux
  • 1er avril : Louise Avon
  • 8 avril : Cynthia Landry
  • 31 juillet : Audrey-Sabrina Gratton
  • 18 août : Kamila Rodriguez Vital de Queiroz
  • 8 septembre : Gisèle Itale Betondi
  • 16 septembre : Viergemene Toussaint
En savoir plus
  • 26
    Nombre de féminicides présumés au Québec en 2021
    9
    Nombre de féminicides présumés au Québec depuis le début de 2022