Gabriel Sohier-Chaput, un Montréalais qui a rédigé environ 1000 articles publiés sur un site néonazi américain, cherchait intentionnellement à fomenter la haine contre les Juifs dans une publication de janvier 2017, a plaidé le procureur de la Couronne.

« L’accusé est une personne éduquée, intelligente, articulée et renseignée », a soutenu MPatrick Lafrenière, vendredi au palais de justice de Montréal. « Il ne pouvait pas ne pas savoir que si une personne raciste, antisémite ou quelqu’un qui aime l’idéologie nazie lisait son texte, ça allait encourager la détestation additionnelle des Juifs. »

Présent par visioconférence, l’homme de 35 ans, qui publiait ses textes sous le pseudonyme Zeiger, semblait agacé. Il a secoué la tête, levé les yeux au ciel et haussé les sourcils à plusieurs reprises pendant la plaidoirie de la Couronne, qui a duré toute la journée.

Me Hélène Poussard, avocate de la défense, avait plaidé en mars dernier que son client souhaitait simplement « faire rire » en publiant un article sur le site The Daily Stormer où on pouvait notamment lire qu’il fallait absolument renouer avec la « tradition ancestrale » d’insulter des Juifs dans la rue.

Dans cet article, supprimé depuis, on pouvait aussi voir le dessin d’un soldat nazi sur le point d’actionner le levier d’une chambre à gaz.

La Couronne voulait prouver trois choses : que Gabriel Sohier-Chaput a tenu ses propos dans la sphère publique, et non dans une conversation privée, que les propos qu’il a tenus sont « haineux » et pas seulement « dérangeants ou blessants », et qu’ils visent un groupe identifiable. Dans ce cas, on parle des Juifs.

« Du nazisme sans arrêt et partout », « 2017 sera l’année de l’action », « les rues seront remplies des larmes de nos ennemis », « nous contre eux ». Plusieurs passages du texte ont été analysés et dénoncés pour leur connotation « antisémite », selon la Couronne.

« Ce serait une erreur de prendre des phrases isolées et de les sortir de leur contexte, a énoncé le procureur. Il faut assurément tenir compte du contexte. »

Mais le ton agressif fait que les propos sont susceptibles d’exposer à la détestation, à la haine. Le site fait la promotion de propos antisémites, racistes, homophobes.

MPatrick Lafrenière, procureur de la Couronne

« Clairement, ces articles étaient accessibles à monsieur et madame Tout-le-Monde. The Daily Stormer est disponible sur le web, sans code, sans logiciel », a ajouté MLafrenière.

Dérapage de la défense

Plus d’une dizaine de fois pendant la journée, le procureur a rappelé que la population juive avait été « déportée, persécutée, éliminée, exterminée » par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Cette population était considérée « comme inférieure et responsable des maux de l’Allemagne et de la société occidentale », a-t-il argumenté.

Il n’a cependant pas fait appel à un historien pour en témoigner, car il a supposé que les évènements entourant l’Holocauste étaient de « connaissance judiciaire ».

« Vous demandez au Tribunal de faire des extrapolations. Vous accusez quelqu’un d’un crime très sérieux, et vous ne faites pas faire de preuve par un historien, par un sociologue. Ça aurait été tellement facile », lui a reproché le juge Manlio Del Negro, qui aurait aussi aimé entendre un expert pouvant lui donner des précisions sur l’orientation politique et idéologique du site The Daily Stormer.

Interrogée par le juge pour savoir si elle reconnaissait de son côté ces évènements historiques, Me Hélène Poussard a semé un malaise dans la salle d’audience.

« Je ne suis pas d’accord que l’idéologie des nazis correspondait à l’antisémitisme. Est-ce qu’on n’emploie pas le mot nazisme à toutes les sauces aujourd’hui ? Si une personne se dit nazie, est-ce que ça veut dire que cette personne veut l’extermination de la race juive ? »

« On joue avec les mots, a-t-elle continué. Selon le dictionnaire, le nazisme, c’est du national-socialisme. C’était une idéologie. Ça ne faisait pas partie du plan initial, d’exterminer les Juifs. Et est-ce vraiment six millions de victimes ? »

« Me Poussard, pensez-vous que ce sont des nazis qui ont amené des Juifs dans des camps de concentration ? », lui a demandé le juge.

« Je pense que c’étaient des Allemands qui se disaient nazis. Je pense que c’est parce qu’on voulait sauver de l’argent. C’était moins cher de les gazer que de les amener à destination. C’est ce qu’on m’a appris à l’école. »

Le ton grave, le juge Del Negro a répliqué : « Je vous conseille d’arrêter. Ce que vous dites est contraire à l’histoire. »

Le procès de Gabriel Sohier-Chaput se poursuivra le 29 août.