La démission de 100 greffières en trois ans au palais de justice de Montréal a des effets bien réels sur la population. Une femme qui aurait été battue et étranglée par son mari a dû patienter toute une journée pour voir son contre-interrogatoire être ensuite reporté. Une situation « inacceptable et déplorable », a pesté le juge Robert Marchi.

Les conséquences de l’exode du personnel de cour s’observent au quotidien au palais de justice de Montréal. Avocats, accusés, victimes et témoins butent régulièrement sur des salles d’audience fermées, faute de greffières ou de constables spéciaux. Cela a pour effet d’embourber les rares salles ouvertes et de multiplier les reports, au risque de provoquer des arrêts du processus judiciaire de type Jordan.

Avec le départ de 44 greffières dans la dernière année à Montréal, la situation ne cesse d’empirer, a observé La Presse dans les dernières semaines. À la mi-juin, au moins trois salles d’audience étaient fermées quotidiennement le matin, alors que tout le monde était prêt à procéder. Les mines sont souvent basses dans les corridors du palais de justice.

Le 17 juin dernier, le juge Marchi n’a pu prendre le banc qu’à partir de 15 h quand une greffière s’est finalement libérée. Le magistrat devait pourtant entendre dès 9 h 30 la suite du contre-interrogatoire de la plaignante au procès d’un Montréalais de 31 ans. Ce dernier fait face à cinq chefs d’accusation pour avoir notamment étranglé sa femme et l’avoir menacée de mort en 2019.

Comme il était impossible de terminer le témoignage de la plaignante, le juge a été contraint de le reporter en août prochain. Il devait entre autres aussi rendre une sentence dans une affaire de fraude en fin d’après-midi.

C’est inacceptable ! Il manque trois greffières. [...] Il va falloir que les bottines suivent les babines ! Mon devoir de réserve m’interdit d’aller plus loin. Mais je veux juste expliquer [la situation] aux gens qui sont là depuis 9 h 30 ce matin. C’est déplorable. Je le déplore profondément.

Le juge Robert Marchi, le 17 juin

« Je déplore de ne pas avoir été capable de travailler ce matin. Et qu’en particulier, la plaignante ait été forcée de rester au palais de justice depuis 9 h 30 sans savoir ce qui allait arriver. Sans compter l’interprète aussi. Il ne s’est rien passé ! Je vous le dis, la chambre criminelle n’a pas besoin de pressions supplémentaires… », a poursuivi le magistrat, sans conclure sa pensée.

« Encore une fois, c’est une situation qui est inacceptable, déplorable. Ça ne peut pas continuer longtemps comme ça… », a maugréé le juge.

Bas salaires

Malgré leur rôle crucial dans le système judiciaire, les greffières-audiencières gagnent à peine de 35 000 à 45 000 $ par année, alors que leurs collègues de la cour municipale touchent 20 000 $ de plus. Les salaires sont si peu compétitifs, compte tenu des responsabilités, que les recrues quittent rapidement leur poste. Leur convention collective est échue, et les négociations achoppent.

Selon des données obtenues en vertu de la loi sur l’accès aux documents, 42 greffières du palais de justice de Montréal ont démissionné en 2021-2022, en plus de 2 départs à la retraite.

Dans les trois dernières années, ce ne sont pas moins de 100 greffières qui ont claqué la porte à Montréal. En comparaison, seulement neuf greffières avaient démissionné en 2016-2017.

Dans son allocution annuelle, le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, a récemment qualifié « d’inacceptable » le sous-financement des tribunaux, selon La Presse Canadienne. Il a notamment mentionné les salaires de 30 000 ou 35 000 $ alloués aux assistants judiciaires.

La Presse révélait également, le printemps dernier, que les juges en chef de la Cour du Québec, de la Cour supérieure et de la Cour d’appel s’étaient unis pour interpeller Québec l’an dernier afin de réclamer de meilleurs salaires pour les adjoints à la magistrature. Ceux-ci gagnent moins de 50 000 $ et sont nombreux à se tourner vers le privé, au grand dam des juges.

Avec William Leclerc, La Presse