Pour certains parents séparés dont le cas est particulier, faire renouveler le passeport de leurs enfants est un véritable casse-tête. Piles de documents à fournir, appels interminables, frais d’avocat… les zones floues du système forcent ces personnes à suivre un processus bureaucratique exténuant.

En avril 2021, Isabelle Vallée a envoyé une demande de passeport pour son adolescent. Quatorze mois et une douzaine d’appels de quelques heures plus tard, son fils est toujours en attente de ses nouveaux documents officiels.

En 2018, Isabelle Vallée et son mari ont officialisé leur séparation, après 22 ans de vie commune. Dans leur entente de divorce, il était convenu que le père aurait la garde des deux enfants en semaine. Isabelle, de son côté, les aurait pour les fins de semaine et les vacances. C’était plus simple ainsi : le père habitait à 10 minutes de l’école. Puis, subitement, le 16 juillet 2020, ce dernier est mort dans son sommeil.

Il faut qu’un parent héberge ses enfants au minimum 40 % du temps pour que la garde soit considérée comme conjointe, fait remarquer MBenoit Thibault, avocat en matière familiale. Avec les fins de semaine et les vacances, Isabelle Vallée tombait en deçà de ce seuil. Son ex-mari avait donc officiellement la garde exclusive des enfants.

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MBenoit Thibault, avocat en matière familiale

Isabelle Vallée a fourni le certificat de décès au gouvernement fédéral, comme l’exige Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Elle a aussi envoyé une copie de son jugement de divorce, mais ça n’a pas suffi.

À la place, les fonctionnaires fédéraux à qui elle essayait de faire comprendre sa situation lui ont demandé de leur fournir un jugement prouvant qu’elle était « la mère et la tutrice légale des enfants ». « Ces dispositions protègent les droits de toutes les parties tout en essayant de prévenir l’enlèvement d’enfants », précise IRCC.

Me Véronique Jacques, avocate qu’Isabelle Vallée a embauchée pour trouver une solution, déplore que sa cliente ait à prouver son lien avec ses enfants. « La garde lui est revenue automatiquement [après le décès], explique-t-elle. Le jugement [de divorce] n’a plus aucune valeur. Comment [son ex-mari] peut-il exercer une garde s’il est décédé ? »

Aller devant le tribunal pour obtenir un jugement qui changerait la garde des enfants est une possibilité. Ce serait toutefois « complètement absurde » aux yeux de MBenoit Thibault, puisque le père est mort.

« Le certificat de décès devrait suffire, poursuit MJacques. On ne devrait plus se poser la question. Les enfants sont déjà anéantis parce que leur père est décédé, et en plus, il y a une possibilité qu’ils ne puissent pas partir en voyage. Je trouve ça déplorable. C’est un manque de jugement. »

« Je n’en pouvais plus »

Isabelle Vallée est dans l’incompréhension : pour le permis de conduire et la carte d’assurance maladie de son fils, les papiers qu’elle détient sont suffisants. L’histoire du passeport lui a coûté des milliers de dollars en frais d’avocat, qu’elle ne peut plus continuer de payer. Tout ça pour un document à 57 $. « Et il faut que vous sachiez que les 57 $, ils les ont pris », s’exaspère-t-elle.

« La dernière fois que j’ai appelé [Service Canada], c’était en avril, confie la mère de famille. J’ai attendu cinq heures… Ils m’ont dit au téléphone que j’étais la 575e personne en attente. »

En plus, il a fallu gérer le décès, les papiers, aller chez le notaire avec le frère de mon ex, faire le suivi chez le psychologue avec les enfants… Chaque étape était dure. J’étais à la limite d’être émotionnellement vidée. Ce n’est pas une dépression, mais je n’en pouvais plus. Ça faisait beaucoup.

Isabelle Vallée

Peu commun, mais pas une exception

Selon MBenoit Thibault, qui exerce le droit familial depuis plus de 20 ans, il s’agit d’un problème peu commun, mais qui touche tout de même une certaine frange de la population.

Il mentionne par exemple un cas où les parents sont en cours de séparation. « Ça n’arrive pas fréquemment, mais quand même suffisamment pour constater que ce ne sont pas des exceptions », indique MThibault.

Service Canada, pour les demandes de passeport faites par des parents divorcés, exige de recevoir chacun des jugements ayant été produits dans le cadre de la séparation. Me Thibault peine à comprendre la pertinence d’envoyer ceux qui ont été rendus inopérants.

« Je veux faire comprendre aux fonctionnaires que le seul jugement dont ils ont besoin, c’est celui qui est en vigueur le jour de la demande, argumente-t-il. C’est plus que logique. »

Pour réponse, IRCC se contente d’affirmer que « tous les documents faisant référence à la garde, à la mobilité ou à l’accès à l’enfant doivent être fournis avec la demande ». L’organisme fédéral ne donne pas davantage de précisions.