Un couple de la Rive-Sud de Montréal qui réclamait 500 $ à une voisine qui avait eu le malheur d’ensemencer sa pelouse de trèfle a été débouté dans une décision de la Cour du Québec.

L’homme et la femme faisaient valoir au palais de justice de Longueuil que cette voisine avait « causé un dommage à leur pelouse parce que le trèfle qu’elle [avait] semé sur sa propriété s’est propagé sur leur terrain ».

La décision est datée de novembre dernier, mais elle est bel et bien de saison. Toute l’affaire a commencé par un traditionnel conflit de voisinage.

Natacha David a fait construire sa maison en 2016. Un an plus tard, Daniel Michaud et Sylvie Laplante ont érigé la leur sur le terrain adjacent. Mais à cause du terrassement surélevé des voisins qui empiétait sur la ligne mitoyenne, l’eau d’écoulement a commencé à s’accumuler sur le terrain de Mme David.

Celle-ci a mis ses voisins en demeure, puis leur a finalement réclamé 1900 $ devant le tribunal. En réponse à cette action de leur voisine, M. Michaud et Mme Laplante ont à leur tour exigé d’elle 2800 $, dont « 500 $ pour la réparation de leur pelouse envahie par du trèfle ».

La juge Nathalie Drouin n’a pas été convaincue par les arguments des voisins. Elle a rejeté leur demande reconventionnelle.

L’ensemencement de trèfle chez madame David a-t-il causé un dommage sur la pelouse des voisins ? La réponse est non.

La juge Nathalie Drouin de la Cour du Québec, dans sa décision

« Cette question en est une de préférence et d’esthétisme. Aucune preuve n’a été fournie pour démontrer que le trèfle serait un couvre-sol interdit par la Ville », ajoute la juge Drouin.

« Il ne faut pas oublier que les voisins doivent accepter les troubles normaux de voisinage. Cette demande n’est pas accordée. »

La cour a finalement donné en partie raison à la plaignante. Le couple a dû payer plus de 1200 $ à Mme David, qui a notamment dû remblayer son terrain pour corriger le ruissellement. Elle a pu garder son trèfle.

Pelouse diversifiée

Cette décision réjouit Larry Hodgson, l’homme au pouce vert derrière le blogue du Jardinier paresseux.

« Il faut se rappeler quelque chose, que beaucoup de gens ont semblé oublier : jusqu’aux années 1950, c’était considéré comme nécessaire d’avoir du trèfle dans sa pelouse », relève M. Hodgson.

L’homme remarque depuis quelques années un intérêt croissant de ses lecteurs pour une pelouse diversifiée. Même si la pression de la pelouse parfaite existe toujours, semer du trèfle ou du thym est de plus en plus accepté, observe-t-il. La décision du tribunal vient confirmer cela.

PHOTO ARCHIVES LE SOLEIL

Larry Hodgson, auteur du blogue du Jardinier paresseux

Il y a certainement des gens qui font une pelouse parfaitement verte pour le plaisir de la voir. Mais la majorité, je pense, c’est par pression. Il faut une pelouse parfaite, sans la moindre mauvaise herbe.

Larry Hodgson, auteur du blogue du Jardinier paresseux

« Quand on va vers un milieu plus naturel et une diversification des plantes, on finit par utiliser beaucoup moins d’eau d’arrosage ou de pesticides, d’engrais… C’est bénéfique pour la faune, les insectes », croit M. Hodgson.

Le trèfle sous la loupe des chercheurs

Le débat sur la pelouse parfaite a d’ailleurs fait son entrée à l’université. Le trèfle et d’autres couvre-sol « alternatifs » sont sous la loupe de chercheurs québécois. Guillaume Grégoire, professeur au département de phytologie de l’Université Laval, supervise une étude sur le thym serpolet, le trèfle blanc, le fraisier sauvage et la pâquerette vivace.

Il n’y a pas beaucoup de littérature sur ce sujet. Nous, on va implanter d’autres types de couvre-sol dans la pelouse. On veut voir s’ils survivent bien à la sécheresse et au piétinement, à la tonte, aux insectes ravageurs…

Guillaume Grégoire, professeur au département de phytologie de l’Université Laval

« On veut aussi voir s’il va y avoir d’autres bienfaits, entre autres pour les pollinisateurs », ajoute Guillaume Grégoire.

L’universitaire défend une position nuancée de « chercheur plate », comme il le dit lui-même, sur ces questions hautement clivantes.

Il estime d’ailleurs que le bon vieux gazon, comme le pâturin du Kentucky, est souvent injustement malmené dans le discours public. « Les pelouses ont beaucoup moins besoin d’eau que les gens pensent », dit-il, mentionnant le mécanisme de dormance qui leur permet de jaunir et de survivre à des sécheresses.

« Mon hypothèse pour le trèfle, c’est qu’il va rester vert plus longtemps en période de sécheresse. Par contre, si la sécheresse se prolonge, la plante n’a pas ce mécanisme de dormance et elle pourrait mourir et ne pas reprendre », note Guillaume Grégoire.

« C’est notre hypothèse de travail, ça ne veut pas dire que ce sera le résultat », dit celui qui s’attend à des résultats d’ici le début de 2023.

En attendant, et le tribunal le confirme, chacun est libre de faire ses propres expériences avec les couvre-sol sur son terrain et de contrevenir à l’orthodoxie du gazon.