Dix ans après l’attentat du Métropolis, la Sûreté du Québec (SQ) semble finalement avoir tiré des leçons de cette expérience. Le périmètre extérieur de protection d’un dignitaire n’est maintenant plus laissé à l’abandon, admet le chef du renseignement de la SQ. Une position qui contraste avec celle du patron de la sécurité du premier ministre qui prévoit d’utiliser la « recette » de 2012 aux prochaines élections.

« Au renseignement, maintenant, nonobstant le nombre de patrouilleurs qui seront là, on fait un périmètre extérieur pour s’assurer de couvrir tous les accès, les rues, les accès de l’édifice où la personnalité va se déplacer », a révélé en cour, il y a deux semaines, Dominique Langelier, actuel responsable du Service de renseignement et de la protection de l’État au sein de la police provinciale. Il occupait les mêmes fonctions en 2012.

C’est la première fois que la SQ admet avoir modifié concrètement ses techniques de protection des élus dans la foulée de l’attentat « politique » visant Pauline Marois.

Cette partie de son témoignage faite à huis clos était frappée depuis par une ordonnance de non-publication. Le Procureur général du Québec s’opposait à sa publication afin de protéger des techniques policières. Mais à la suite de l’intervention des avocats des médias, dont La Presse, le juge Philippe Bélanger a conclu que l’ensemble du témoignage de Dominique Langelier était d’intérêt public et pouvait être rapporté.

Alors que Pauline Marois célébrait sa victoire devant plus d’un millier de partisans le soir du 4 septembre 2012, aucun policier de la SQ ne protégeait l’arrière du Métropolis. Une vingtaine d’agents étaient pourtant déployés. Un seul policier était posté à l’intérieur devant la porte arrière de l’édifice. Cette sortie était le « plan A » pour évacuer la première ministre élue.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Richard Henry Bain au moment de son arrestation

Vêtu d’une robe de chambre et d’une cagoule, Richard Henry Bain s’est approché tranquillement derrière l’édifice et a ouvert le feu sur la douzaine de techniciens de scène agglutinés devant la porte arrière. Denis Blanchette est mort et Dave Courage a été blessé gravement. Traumatisés, quatre survivants réclament 600 000 $ à la SQ et au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en raison de l’absence de sécurité.

Depuis l’attentat, l’équipe du renseignement et de la protection de l’État de la SQ « fonctionne différemment » et utilise la technique de la « boîte » pour protéger « l’entour de l’endroit où le dignitaire va se déplacer », a expliqué Dominique Langelier, contre-interrogé par MVirginie Dufresne-Lemire. Il s’agit essentiellement d’un périmètre extérieur, a-t-il convenu.

Plus tôt dans le procès, le lieutenant Pierre Bertrand, actuel responsable à la SQ de l’unité de protection rapprochée des dignitaires, dont celle du premier ministre, avait pourtant expliqué que le plan de sécurité de la SQ pour protéger les chefs lors du scrutin d’octobre prochain serait « le même » qu’en 2012. « On applique les mêmes méthodes. De 2012 à aujourd’hui, la base, c’est la même », avait-il expliqué.

La SQ estime avoir fait du bon travail

Même si un homme est mort et qu’un carnage a été évité grâce à l’enrayement salvateur du fusil du tireur, le chef du Service de renseignement de la SQ affirme 10 ans plus tard avoir fait du bon travail le 4 septembre 2012.

Oui. Avec les informations qu’on avait à cette époque, et les méthodes employées à cette époque, on a fait notre travail.

Dominique Langelier, responsable du Service de renseignement et de la protection de l’État en 2012

L’officier soutient avoir mis en place « toutes les couches de sécurité » ce soir-là, mais s’empresse ensuite d’évoquer la « responsabilité partagée » du SPVM, de la « sécurité » et des gardes du corps. Dans tous les cas, le « risque zéro » n’existe pas, nuance Dominique Langelier, en prenant pour exemple l’assaut du Capitole américain par les partisans de Donald Trump en janvier 2021.

D’ailleurs, Pauline Marois n’était visée par aucun enjeu de société « suffisamment important pour que [la SQ] modifie [ses] façons de travailler », ajoute-t-il. Le fait qu’elle soit une femme ou la cheffe d’un parti indépendantiste ne changeait donc rien, selon lui. « Elle était plus adulée », se souvient-il.

Sur une vingtaine de policiers de la SQ, cinq agents des services de renseignement étaient mêlés à la foule, habillés en civil, pour protéger Pauline Marois le soir de l’attentat. « La probabilité qu’on en veuille à Mme Marois, c’est à l’intérieur », se défend Dominique Langelier.

Alors que l’arrière de l’édifice était sans protection, un agent de la SQ était bien positionné devant l’entrée principale pour repérer les personnes suspectes.

« Si on voit quelqu’un qui ne fitte pas, on va le suivre à l’intérieur. Le membre à l’extérieur va nous donner une description physique. On va entamer une conversation sous un faux prétexte. On va tenter de connaître son identité », détaille Dominique Langelier.

Comme les policiers en civil de cette escouade ne boivent pas d’alcool et parlent très peu dans la foule, des quidams peuvent les « dévisager » après un moment. Une rotation se met alors en place, explique Dominique Langelier.

Cette technique policière, la SQ tenait mordicus à la garder secrète. Or, selon le juge, il ne s’agit pas d’une technique « sophistiquée ».

Par ailleurs, la SQ détenait un album de personnes « d’intérêt » qui en voulaient aux chefs. Puisqu’il était un « loup solitaire », Richard Henry Bain n’en faisait pas partie, selon Dominique Langelier. La SQ voulait cacher l’existence même de cet album, une technique de détection pourtant « bien connue du public », soutient le juge.

La présentation de la preuve s’est en principe conclue mardi. Or, le juge Bélanger rendra jugement ce mercredi matin sur la « nécessité d’une preuve additionnelle sur les menaces ». En effet, le juge a souligné les « lacunes » entourant les six menaces visant Pauline Marois le jour des élections et rapportées dans un rapport caché de la SQ. Étonnamment, personne à la SQ n’a été capable de détailler ces menaces pendant le procès. Il s’agit d’un « élément important », selon l’avocate des demandeurs.