(Halifax) Les trois premiers policiers de la GRC qui ont répondu à la tuerie de masse en Nouvelle-Écosse, il y a deux ans, ont marché dans l’obscurité vers le son des coups de feu et vers des maisons en flammes, mais le tireur qu’ils poursuivaient a continué à faire des victimes avant d’échapper à la police.

Les transcriptions déposées mardi aux audiences de l’enquête publique indiquent que les policiers qui se sont précipités, sirènes hurlantes, à Portapique au soir du 18 avril 2020 répondaient à un appel déchirant au 911, logé à 22 h 04 par Jamie Blair juste avant qu’elle ne soit assassinée par le tueur.

Un résumé de 92 pages préparé par la commission d’enquête détaille les gestes posés par les premiers policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) après leur arrivée à Portapique. On y apprend que pendant environ une heure et demie, ils ont été les trois seuls policiers dans tout le village.

Alors que l’agent Stuart Beselt se dirigeait vers Portapique, il a rencontré les résidants Andrew et Kate MacDonald, qui venaient de croiser le tueur au volant de sa réplique d’une voiture de patrouille de la GRC ; Andrew MacDonald avait été atteint par balle. Mais l’enquête a appris lundi qu’à ce moment-là, le tireur se trouvait au-delà du champ de vision de l’agent Beselt, dans un creux de la route.

Quelque part entre 22 h 27 et 22 h 40, le tueur a roulé vers le sud, plus profondément dans la petite communauté, et il a tué par balles Joanne Thomas et John Zahl, chez eux.

À partir de ce moment-là, alors que les premiers policiers se dirigeaient vers Portapique, le tueur, Gabriel Wortman, a disparu. Plutôt que d’aller vers le nord en direction des policiers, il aurait emprunté une petite route accidentée à travers un boisé qu’il possédait à l’extrémité sud de Portapique, se retrouvant du coup à son entrepôt sur Orchard Beach Drive, qu’il avait précédemment incendié.

Selon la commission, il existe des preuves que Corrie Ellison, un visiteur à Portapique, prenait des photos du bâtiment en feu juste avant d’être abattu par le tueur, à 22 h 40.

Échapper au barrage policier

Dans les cinq minutes qui ont suivi, on croit que le tireur a pu quitter le village en empruntant un chemin de terre qui offrait une issue vers la grande route et lui aurait permis de contourner les policiers stationnés sur la route principale menant à Portapique.

Mais cela, l’agent Beselt ne le savait pas. Ce vétéran de la GRC, avec 24 années de service, est entré dans le village, à pied, avec ses collègues Adam Merchant, 13 ans de service, et Aaron Patton, une recrue. Selon le résumé de l’enquête, l’agent Beselt avait endossé son gilet pare-balles et après avoir rencontré le couple MacDonald, il était prêt à entrer dans le village avec son collègue Merchant.

Le vétéran avait étudié les fusillades de 2014 contre des policiers de la GRC à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et il estimait qu’il était plus risqué d’arriver en véhicule de patrouille.

Selon les transcriptions et les entretiens de la commission, les trois policiers ont avancé avec des carabines pointées vers l’avant et portant des gilets pare-balles, tandis que leur consœur Vicki Colford est restée à l’intersection de la route nationale et de Portapique Beach Road, pour boucler le secteur.

À 22 h 48, les policiers ont retrouvé le corps de M. Ellison devant l’entrepôt incendié où il avait pris des photos. Ensuite, ils ont frappé à la porte de Lisa McCully, où ses deux enfants et ceux de Jamie Blair s’étaient réfugiés, et qui étaient en ligne avec un répartiteur du 911. Mme McCully avait été tuée par le tireur alors qu’elle était plus loin sur sa propriété.

Pendant ce temps, à l’intersection de la route, l’agente Colbert a prévenu par radio tous ses collègues, vers 22 h 48, qu’elle avait été informée qu’il y avait des routes secondaires privées qui pourraient mener hors de la région. Mais il était probablement trop tard : les enquêteurs de la commission affirment que le tueur avait probablement déjà atteint la route principale et s’éloignait de Portapique. Ce n’est que peu après 5 h du matin, dimanche, que la police a installé un barrage à la sortie de la petite route secondaire que le tueur a empruntée pour quitter la région et poursuivre sa cavale meurtrière.

Des policiers rongeaient leur frein

Le rapport de la commission décrit par ailleurs la frustration de policiers prêts à intervenir, mais qui attendaient désespérément les ordres. Le sergent-chef Andy O’Brien, l’officier responsable des opérations ce soir-là, leur a indiqué qu’il ne voulait « qu’une seule équipe dans la communauté pour éviter un risque de tirs croisés », selon le résumé de la commission.

À travers tout cela, le grand public avait été peu informé de ce qui se passait dans le nord de la Nouvelle-Écosse. À 23 h 16, l’agent Beselt a contacté par radio Brian Rehill, gestionnaire des risques à la GRC, pour demander si une sorte de message d’urgence pourrait être envoyé pour prévenir les civils, mais M. Rehill a répondu que la police s’affairait à appeler autant de résidants du secteur que possible.

À 23 h 32, la GRC a finalement écrit sur Twitter qu’elle « répondait à une plainte pour armes à feu dans la région de Portapique » et demandait aux citoyens d’éviter le secteur et de rester chez eux, en verrouillant les portes.

Ce n’est qu’à 8 h 02 le lendemain matin, plus de neuf heures après que Wortman se soit échappé du secteur, que la GRC a publié un autre message sur Twitter déclarant une « situation de tireur actif ».