Des insultes antisémites. Un appel à injurier les Juifs dans la rue. Le rêve d’un nazisme « non-stop ». Et finalement, le dessin d’un commandant SS au sourire carnassier qui s’apprête à ouvrir une valve de gaz. C’est pour cet article publié sur un site néonazi américain qu’un Québécois est jugé depuis lundi pour avoir fomenté la haine envers les Juifs.

De son appartement du quartier Rosemont, Gabriel Sohier Chaput s’est hissé comme une figure de proue de l’extrême droite américaine en 2016. Sous le pseudonyme Zeiger, l’homme de 35 ans est devenu un auteur prolifique sur le site néonazi The Daily Stormer qui défendait bec et ongles le président Donald Trump.

Le Québécois s’est aussi fait connaître pour avoir participé au rassemblement de suprémacistes blancs de Charlottesville à l’été 2017. Recherché pendant deux ans par la police de Montréal, Gabriel Sohier Chaput avait finalement comparu en 2020 dans la présente affaire. De nombreux militants « antifascistes » étaient ainsi présents lundi matin au palais de justice de Montréal pour assister au procès.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO

Gabriel Sohier Chaput a participé au rassemblement des groupes d’extrême droite américains qui a eu lieu à Charlottesville à l’été 2017.

Mais Gabriel Sohier Chaput ne se retrouve pas devant la justice pour l’ensemble de ses nombreux écrits visant les Juifs, mais pour un seul en particulier, publié en janvier 2017 sur The Daily Stormer. Le Québécois reconnaît d’ailleurs avoir écrit « en partie » cet article sous la plume de Zeiger, a indiqué son avocate, Me Hélène Poussard. Mais selon la Couronne, la « totalité » de l’article émane en fait de Gabriel Sohier Chaput.

Dans cette courte publication, l’auteur cite à plusieurs occasions un reportage de la chaîne Global News portant sur la découverte d’affiches néonazies sur un arrêt d’autobus en Colombie-Britannique. Sur celles-ci, on peut voir notamment une clé en forme de croix gammée et des soldats nazis.

L’auteur ridiculise particulièrement l’expérience d’un survivant d’Auschwitz cité dans le reportage de Global News. L’homme de 91 ans y raconte s’être fait crier des insultes antisémites de retour dans sa Hongrie natale, alors que de telles affiches étaient placardées.

La « tradition ancestrale » d’injurier les Juifs dans la rue devrait « assurément » être de retour, maintient l’auteur de l’article en reprenant la même expression injurieuse lancée au survivant d’Auschwitz 70 ans plus tôt.

Adhésion au nazisme

Dès le premier paragraphe, l’auteur étale sans gêne son adhésion au nazisme. D’ailleurs, la silhouette d’Adolf Hitler trône sur chaque page du site du The Daily Stormer qui consacre une section complète au « problème juif ».

« 2017 sera l’année de l’action. Nous devons être certains qu’aucun SJW [Social Justice Warrior] ou Juifs puissent rester à l’abri [safely untriggered]. Le nazisme, partout, jusqu’à ce que nos rues soient inondées par les larmes de nos amis », écrit l’auteur en anglais.

Le terme « untriggered » est particulièrement difficile à traduire dans ce contexte. « C’est un mot mystérieux », a même indiqué le traducteur au juge Manlio Del Negro, après avoir tenté la traduction « non enflammé ».

Dans l’article du Daily Stormer, l’auteur ironise sur la haine des Juifs en utilisant un terme particulièrement injurieux pour nommer ceux-ci. « Certains théorisent que les gens blâment les Juifs pour leurs failles – comme celles d’avoir tout leur argent volé par les Juifs », écrit l’auteur, en reprenant ce préjugé antisémite.

Pour conclure son article, l’auteur souligne en caractère gras la fin du témoignage du survivant d’Auschwitz : « Je suis ici, j’ai survécu », confiait le vieil homme.

À ces paroles, l’auteur du Daily Stormer assène ces mots lourds de sens : « Oui. Pour le moment. »

Difficile à déchiffrer

Aux yeux du procureur de la Couronne MPatrick Lafrenière, il est important de comprendre ce que représente le Daily Stormer dans le présent procès. Ce n’est pas la même chose d’écrire une chose sur un site « d’extrême droite, fasciste, nazi » ou dans Le Devoir, a-t-il fait valoir.

Même si les partisans de l’extrême droite emploient sur le web un jargon parfois difficile à déchiffrer, aucun expert de cette mouvance n’a témoigné pour la poursuite. Le juge semblait ainsi perplexe lorsqu’un témoin policier a tenté de décrire le mème de la grenouille « Pepe the Frog ». Sous ses allures anodines, cette grenouille s’est transformée en symbole haineux dans les dernières années. Son image se retrouve d’ailleurs dans la publication litigieuse.

L’avocate de la défense MVicky Powell a souligné que le Daily Stormer affiche un « avertissement » indiquant que le site s’oppose à toute violence.

Le procès se poursuit mardi avec la présentation de la défense et les plaidoiries.