Le père de la fillette de Granby a tellement souvent répondu « je ne m’en souviens pas », lors du procès de la belle-mère de l’enfant de 7 ans, que la Cour a dû employer les grands moyens pour lui soutirer des réponses. L’homme de 32 ans (qui ne se rappelait pas son âge) sera de retour au palais de justice de Trois-Rivières, vendredi, pour les observations sur sa propre peine.

La Couronne a demandé au père de relire les notes de son interrogatoire par les policiers, de consulter des photos et de regarder une vidéo avant de rendre son témoignage dans le procès de la belle-mère. L’homme ne l’a pas fait.

« On le voit manifestement que le témoin, non seulement il ne l’a pas fait, mais il dit qu’il ne veut pas le faire », a déclaré le juge Louis Dionne alors que le témoin clé et le jury étaient absents de la salle d’audience, en octobre dernier. « Ce matin, c’était un blocage total », a-t-il ajouté. Le témoignage du père s’est déroulé à huis clos, sans la présence des journalistes et du public, mais les médias ont pu obtenir la retranscription de son récit lorsqu’il a plaidé coupable à une accusation de séquestration, en décembre.

Lisez notre article sur le récit du père

Devant le comportement du père, les avocats de la Couronne et de la défense ont convenu de regarder ­ – avec lui – la vidéo de son interrogatoire mené par les enquêteurs de la Sûreté du Québec afin de lui « rafraîchir la mémoire ».

« On va s’asseoir, puis on va écouter la TV », a déclaré le juge, ajoutant n’avoir « jamais vécu une situation comme celle-là ».

Lorsque le père est revenu dans la salle d’audience, il a tenté de casser la décision. « Juste pour être sûr, Monsieur le Juge, est-ce que c’est vraiment obligatoire que je regarde cette vidéo-là ? », a-t-il demandé de sa petite voix.

« Oui, tout à fait », a répondu le magistrat.

Le père s’est mis à pleurer dès les premières secondes de la diffusion. Le juge lui a accordé 10 minutes de pause afin qu’il se ressaisisse.

« Tu m’as posé la question tantôt »

Même s’il a finalement réécouté son interrogatoire, le témoin a continué de se montrer peu coopératif. Le juge constate qu’il « se freine » quand les avocats cherchent à obtenir des précisions à certaines réponses.

Le père se fait également rappeler à l’ordre parce qu’il tutoie les avocats. « Bien ça, tu m’as posé la question tantôt », dit-il à l’avocat de la défense lorsque ce dernier lui demande s’il a parlé aux médecins des problèmes de sommeil de la petite victime.

Le père supplie aussi les avocats parce qu’il ne veut pas voir la photo de « l’amas de tape » dans lequel la victime a été enroulée. Il ne veut pas écouter l’appel au 911 non plus. La Couronne a fait entendre seulement un court extrait pour qu’il identifie sa voix et celle de la belle-mère.

Antécédents judiciaires

Il se braque quand MAlexandre Biron, l’avocat de la défense, le questionne sur ses antécédents judiciaires. L’homme a admis avoir transformé du cannabis en huile et en haschich et avoir transporté de la drogue. Il a également volé une caisse de bière dans un dépanneur au début de la vingtaine, et il a des antécédents d’outrage au tribunal.

« Il n’y a pas un alinéa [dans le Code criminel] pour dire qu’on ne veut pas s’incriminer en quelque part ? », a demandé le témoin afin de s’extirper de son bourbier. « Mais est-ce que je peux… juste me permettre de savoir où est-ce qu’on s’en va avec les questions de ma vie pour savoir qu’est-ce que j’ai… »

Le témoin n’a pas pu finir sa phrase ; le juge lui a ordonné de répondre aux questions de l’avocat.

Après quatre jours de témoignage, le père a d’ailleurs réalisé qu’il avait induit la cour en erreur. « Je viens d’y penser, j’ai 32 ans, pas 31 ans. Je suis désolé. »

Souvenirs « très brouillés »

Lors de son récit, le père a affirmé que ses souvenirs étaient « très, très brouillés ». Il se rappelle que sa fille a tenté de s’enfuir par la fenêtre de sa chambre à deux reprises le matin du 28 avril 2019. La nuit venue, elle s’est enfuie, toute nue, et a sonné chez un voisin. Le père l’a toutefois ramenée à la maison.

Des meubles ont été placés devant les fenêtres de la chambre de l’enfant pour éviter qu’elle ne fugue à nouveau. Mais la fillette a déplacé une commode. Le père lui a alors enfilé une chemise, les manches nouées à l’arrière comme une « camisole de force », et l’a enroulée de ruban adhésif.

Des fois, je me demande encore qu’est-ce qui a pu me passer par la tête à ce moment-là.

Le père de la fillette de Granby

Le matin du 29 avril, il est entré dans la chambre de la victime pour lui donner son médicament et il est parti travailler. La belle-mère lui a envoyé un message texte, à 8 h 12, pour lui dire que l’enfant avait réussi à se défaire de sa contention et qu’elle l’avait donc « attachée ben comme faut ». La belle-mère le supplie de rentrer à la maison, ce qu’il fait à 9 h 27.

Arrivé à son domicile, il donne un coup de fil à la pédopsychiatre et se rend à la salle de bains. En sortant, il constate que l’enfant ne crie plus. Il se dirige vers sa chambre pour la détacher et lui proposer de manger.

« C’est là que j’ai vu que ça n’allait pas… la petite est… pleine de tape… il n’y a rien qui se passe », dit-il. Le père appelle le 911. Les médecins constatent le décès de la victime le lendemain, à l’hôpital.

Au terme du procès, la belle-mère a été reconnue coupable de meurtre non prémédité et de séquestration par un jury. Elle purge une peine de prison à vie et sera admissible à une libération conditionnelle dans 13 ans. Quatre jours après le verdict, le père a plaidé coupable à une accusation de séquestration, ce qui lui évite la tenue d’un procès.

Vendredi, les avocats de la Couronne et de la défense émettront leurs suggestions quant à la peine de l’homme.