Le proxénète appuie le canon de son pistolet si fort sur le front de Valérie* que du sang coule sur son visage. « Regarde ce que tu m’as fait faire », lance l’homme. Une cicatrice sur son front en témoigne : Valérie* a vécu l’enfer sous le joug d’Antonio Dujorn Casanova.

L’homme de 30 ans a été reconnu coupable cet hiver d’une quinzaine de chefs d’accusation, dont celui de traite de personnes, crime souvent décrit comme une forme moderne d’esclavage. La longue décision de la juge Lori Renée Weitzman lève le voile sur une histoire d’horreur, celle d’une Montréalaise de 19 ans asservie pendant deux ans par un homme sans pitié. Celle d’une femme « conditionnée » à croire qu’elle était l’« objet » de son bourreau.

Valérie a 19 ans lorsqu’elle rencontre Antonio Dujorn Casanova, en mai 2017. Dépendante à la cocaïne, elle se prostitue avec son amie Jessica. Même si elle parle peu l’anglais, elle commence à travailler pour l’accusé en banlieue de Toronto, mais visite Montréal pour la lucrative semaine du Grand Prix.

Antonio Dujorn Casanova démontre rapidement son autorité sur la victime et son amie. Dans une chambre d’hôtel, le proxénète sort son pistolet et l’appuie sur la tempe de Jessica, parce qu’elle lui « fait de l’attitude ». « Je pourrais te tirer, salope. Ferme-la ! », crache-t-il. Valérie est transie de peur.

Après la fuite de Jessica, Valérie est seule au monde, sous le contrôle absolu de son proxénète.

Il était mon pimp, j’étais sa bitch.

Valérie

Elle l’appelle même « papa », puisqu’elle doit lui demander sa permission pour tout. Valérie a alors perdu « tout espoir ».

Une soumission totale

Preuve de sa soumission complète, la jeune femme doit se soumettre à des « inspections » lorsqu’elle revient de séjours à Montréal pour se prostituer. Antonio Dujorn Casanova scrute alors les organes génitaux de la victime pour s’assurer de leur état.

Le cycle de violence se poursuit dans les mois suivants, alors que Valérie se prostitue jour après jour et remet tous ses gains à son proxénète. En mars 2018, à Montréal, Antonio Dujorn Casanova devient paranoïaque. Rue Notre-Dame, en plein jour, il sort son pistolet, le charge et le pointe vers la jeune femme. « Si tu essaies de me piéger, vraiment, je peux te tuer », menace-t-il en la frappant au visage.

Dans un motel ontarien, en août 2018, Antonio Dujorn Casanova « devient fou » et roue de coups Valérie en la piétinant (stomped). Lorsque Valérie lui bloque le chemin, l’assaillant appuie son pistolet sur le front de la jeune femme. Elle finit par lui présenter ses excuses.

Découragement

En route vers Montréal, ils se font arrêter pour excès de vitesse. Les policiers ontariens découvrent le pistolet de l’accusé caché dans les buissons. Accusée, Valérie reste détenue pendant deux semaines. Elle se décourage à porter plainte contre son bourreau lorsque les policiers locaux lui demandent de joindre la police de Toronto après avoir reçu ses confidences.

Son cauchemar se poursuit pendant neuf longs mois de menaces et de violence. À deux reprises, Antonio Dujorn Casanova étrangle Valérie au point qu’elle ne peut plus respirer. « Ça va aller, tu vas survivre », dit-il en la relâchant. Pour la faire « sentir mieux », il l’agresse sexuellement.

En avril 2019, Valérie lui demande de ne plus l’appeler, lorsque le proxénète menace de tuer sa famille. Le jour de la fête des Mères, Valérie a un accident de voiture à Montréal. Antonio Dujorn Casanova est enragé. Il menace de prendre un Uber pour poignarder Valérie et son père.

Je vais être heureux parce que je vais t’avoir poignardée.

Antonio Dujorn Casanova

Quand Valérie constate sur son application que le proxénète est en direction de son logis de l’avenue Jeanne-d’Arc, elle appelle le 911. Antonio Dujorn Casanova est arrêté quelques minutes plus tard. « C’est comme ça que tu me montres ton amour ? », lui crie-t-il devant la maison. Encore aujourd’hui, Valérie craint son ancien proxénète.

Antonio Dujorn Casanova a témoigné plusieurs jours pendant son procès l’été dernier. Il a nié avoir déjà menacé, battu ou contrôlé Valérie. Il s’est même décrit comme son sauveur. Une version « invraisemblable » qui montre sa capacité de « fabriquer une version alternative des faits », selon la juge, qui a cru le récit de la victime.

Les observations sur la peine sont prévues en avril prochain. MAlexandre Gautier représente la Couronne, alors que MVicky Powell défend l’accusé.

* Nom fictif pour protéger son identité