L’arrestation de Thierry Karsenti, sommité internationale en matière d’éducation numérique, en lien avec des infractions d’ordre sexuel sur une personne mineure a créé une onde de choc dans le milieu scolaire.

Le Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) a sollicité l’aide de la population, vendredi, pour identifier des victimes potentielles du résidant de Brossard âgé de 52 ans. Il a été arrêté le 23 février dernier par des enquêteurs du SPAL et fait face à des accusations de contacts sexuels commis sur un enfant âgé de 11 ans en Colombie-Britannique entre 2015 et 2017.

Selon nos informations, M. Karsenti connaissait déjà la possible victime et les actes reprochés ne seraient pas survenus dans le cadre de son travail. « Des éléments d’enquête nous portent à croire que le suspect aurait pu faire d’autres victimes », indique le communiqué du SPAL.

Depuis 2003, M. Karsenti est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication en éducation. Il occupe aussi le siège de directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante, qui regroupe plus de 100 chercheurs de partout dans le monde.

Souvent cité dans les médias sur la question des technologies en éducation, le professeur à l’Université de Montréal mène régulièrement des formations et des recherches auprès d’enfants. Dans le milieu de l’éducation, l’annonce de son arrestation a eu l’effet d’une douche froide.

« C’est un séisme chez nous », souffle au bout du fil Céline Jarrousse, enseignante à l’école primaire J.-P.-Labarre, à Varennes. Elle a connu M. Karsenti en 2016, alors qu’elle retournait sur les bancs d’école pour faire sa maîtrise en éducation. Son premier souvenir de sa rencontre avec le spécialiste est un « sentiment de malaise ».

« Il était quelqu’un d’extrêmement arrogant, qui regardait les gens d’en haut comme s’ils lui étaient inférieurs. Il était dans sa tour d’ivoire, et là il est tombé », décrit Mme Jarrousse.

Au-delà des torts causés à la possible victime, l’enseignante craint que l’arrestation de M. Karsenti ne nuise aussi aux universitaires dans leurs recherches. « Comment, en tant que parent, accepter que son enfant soit le sujet d’une étude, après une histoire comme ça ? Comment la recherche peut-elle continuer d’avancer ? »

Julien (nom fictif) aussi craint pour l’avenir de son milieu. Étudiant à la maîtrise à l’Université de Montréal, Thierry Karsenti est son directeur de recherche. Il a demandé l’anonymat, par crainte de représailles.

« Quand une personne est au centre de la recherche en éducation, si elle tombe, c’est tout le monde qui tombe avec elle. Ce n’est pas normal qu’une seule personne ait plus de pouvoir qu’une faculté universitaire », explique Julien.

Lorsqu’il est tombé sur la photo de son professeur sur les réseaux sociaux, vendredi matin, le jeune homme a eu la nausée. Lui et ses camarades de classe n’y croyaient d’abord pas. « On était sidérés. C’est épouvantable. En tant que chercheurs en éducation, on est pourtant sensibilisés à faire attention à nos petits bonshommes. »

Une plainte « confidentielle »

Jointe par La Presse, l’Université de Montréal affirme qu’elle n’était pas au courant de la plainte déposée formellement à la police en 2019 à l’endroit de son employé, avant la publication du communiqué sur son arrestation. Tard en journée, M. Karsenti a été suspendu de ses fonctions pour une période indéfinie.

Sa page professionnelle et ses comptes sociaux étaient également fermés.

Spécialiste émérite, M. Karsenti a été consultant pour l’ex-ministre de l’Éducation Sébastien Proulx. L’an passé, il a travaillé sur le plan d’action numérique dévoilé par la CAQ.

« Nous avons été informés ce matin de l’arrestation de Thierry Karsenti suite à une plainte d’agression sexuelle sur un mineur. Nous avons immédiatement retiré tous les mandats de consultation à cet individu. Il n’a plus aucun lien avec le ministère de l’Éducation », a affirmé Jean-François Del Torchio, directeur stratégique au cabinet du ministre Jean-François Roberge.

— Avec la collaboration de Gabrielle Duchaine et de Daniel Renaud, La Presse