Le Hells Angels Claude Gauthier ayant été reconnu coupable de gangstérisme et de trafic de stupéfiants en novembre dernier, la poursuite voulait utiliser sa cavale de 7 ans, qui a suivi l’opération SharQc, pour établir une preuve de mauvais caractère lors des observations sur la peine à venir. Lundi matin, le juge Claude Leblond de la Cour du Québec a refusé sa demande, mais s’est montré réceptif à certains de ses arguments, lui ouvrant même une porte, tout dépendant de la stratégie de la défense.

La question est intéressante et, de plus, aurait pu ne pas concerner uniquement Gauthier. À la suite de l’opération SharQc en effet, plusieurs autres Hells Angels n’ont jamais été arrêtés, ont été en cavale durant de longues années et ont bénéficié d’un arrêt des procédures en 2016.

En 2019, Gauthier, 52 ans, a été arrêté et accusé à la suite du démantèlement d’un réseau de trafic de stupéfiants (Projet Orque) réalisé par l’Escouade de répression du crime organisé (ENRCO) de la Sûreté du Québec. Il attend de recevoir sa peine.

La poursuite, représentée par MMarie-France Drolet du Bureau de la grande criminalité et des Affaires spéciale, voulait utiliser en preuve sa fuite durant les plaidoiries sur la peine, pour expliquer l’absence d’antécédents judiciaires durant ces sept années.

La procureure voulait ainsi vraisemblablement contrer une inférence de bonne réputation qu’aurait pu plaider la défense, établir la durée de la peine à venir et suggérer que Gauthier purge la moitié de celle-ci avant d’être admissible à une libération conditionnelle.

De son côté, l’avocate de la défense, MAnnie Lahaise, affirmait que cette preuve n’était pas pertinente et était préjudiciable pour l’accusé, et que le nolle prosequi (arrêt des procédures) déposé en 2016 dans Gauthier équivalait à une fin des procédures pour abus.

Des terreaux de criminalité

« En général, l’absence d’antécédents est une circonstance atténuante. Il faut relativiser ce principe. Les causes de l’absence d’antécédents judiciaires couvrent un spectre qui va de la personne qui n’en a pas, car elle est une personne honnête et respectueuse des lois, à la personne qui, par stratégie, s’efforce de ne pas se faire prendre. Les organisations telles les gangs de rue, la mafia et les Hells Angels sont des terreaux fertiles pour la criminalité. Il est évident que les membres de ces organisations ne font pas exprès pour se retrouver devant les tribunaux. Le fait d’être en cavale est possiblement une raison supplémentaire », écrit le juge Leblond, avant d’ajouter :

« Cependant, peut-on conclure qu’autrement, la personne aurait commis des infractions et se serait retrouvée devant les tribunaux ? Le lien de cause à effet n’est pas du tout évident. En ce sens, la valeur probante de la preuve que la poursuite veut faire est faible ».

Le juge Leblond affirme qu’il n’y a pas de lien de similarité entre la cavale de Gauthier et les infractions pour lesquelles il doit bientôt recevoir sa peine. Le magistrat ajoute qu’un débat sur la preuve de cavale serait trop long, qu’il ferait dévier l’objet de la détermination de la peine et que la défense, pour le moment, n’a pas annoncé une preuve de bon caractère.

« Enfin, tel que déjà mentionné, le caractère atténuant d’absence d’antécédents judiciaires pendant la période en question est relatif vu l’appartenance de l’accusé aux Hells Angels », écrit-il.

Après analyse, le juge Leblond n’autorise pas la poursuite à faire la preuve de cavale, même si la défense argumente que l’absence d’antécédents judiciaires durant les 15 ans de cavale constitue une circonstance atténuante.

Par contre, le juge permettra à la poursuite de faire cette preuve si jamais la défense veut se servir de la cavale pour démontrer le bon caractère du motard.

Fait à noter, Gauthier, qui est incarcéré à Bordeaux, où plus de la moitié des détenus sont confinés en raison d’une forte éclosion de la COVID-19, a été contraint d’écouter la décision du juge au téléphone.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.