(Laval) Un ado confie à son meilleur ami ses sentiments à l’égard d’une fille de l’école, mais l’ami trahit cette confiance en dévoilant son secret sur les réseaux sociaux. C’est cette banale chicane entre deux amis qui aurait ultimement mené au meurtre d’un ado de 15 ans l’an dernier, à Laval.

« Peter* a dit qu’il baisait Justine*. Je n’ai pas aimé ça. C’était des confidences. Il m’a traité de tapette », a témoigné Théo*, qui a amorcé sa défense jeudi en Chambre de la jeunesse du palais de justice de Laval.

Le garçon maintenant âgé de 18 ans est accusé du meurtre au premier degré de Max*, le frère de Peter. Le jeune de 15 ans est mort poignardé dans un parc du quartier Fabreville, à Laval, le 1er janvier 2020. Selon la Couronne, Théo a prémédité le meurtre de son ami, alors qu’il avait apporté un couteau pour régler ses comptes avec la victime et son frère Peter. Deux autres ados ont participé à la bagarre.

Au début de son témoignage jeudi matin, Théo a longuement abordé la genèse de son conflit avec les frères Max et Peter, quelques jours avant le drame. À cette époque, Théo avait 16 ans et jouait au moins trois heures par jour au populaire jeu en ligne League of Legends. La fin de semaine, il jouait même « un bon huit heures » à ce jeu.

Jusqu’aux vacances de Noël 2019, Théo jouait ainsi tous les jours avec les frères Max et Peter. Ils étaient ses « meilleurs amis » depuis des années. Les trois amis faisaient partie d’un groupe privé d’une trentaine de personnes sur Discord, une populaire plateforme de discussion utilisée par les amateurs de jeux vidéo en ligne.

Le 20 décembre, Théo passe la soirée avec les frères à discuter de leur avenir. Théo leur confie avoir des sentiments à l’égard de Justine, une camarade de classe. Puis le lendemain, Peter visite Théo pour jouer à des jeux. Mais le 22, c’est la stupeur. Peter écrit qu’il « baise » Justine à tous les membres de leur groupe Discord.

« J’ai pas aimé ça, parce que c’était des confidences. Et il a exposé ça à tout le monde. C’était pas correct », relate Théo.

Peter se défend toutefois d’avoir écrit le message et jette le blâme sur son frère. Mais Théo refuse de le croire. Les deux amis commencent alors à s’insulter par écrit sur la plateforme Discord. À un moment, Peter arrive en criant dans un appel commun, alors que Théo joue avec d’autres amis.

« Il s’est mis à crier. Un cri fort. Après 15-30 secondes, j’ai décidé de le mute, donc de couper son son pour qu’il arrête de faire du bruit. Par la suite, Peter a commencé à m’insulter. Il m’a traité de tapette et d’autres insultes, et comme quoi il baisait Justine. Je lui ai dit : « ta gueule, arrête de dire des trucs comme ça ». Après, il s’est fait bannir », poursuit Théo. Peter est alors furieux, puisqu’il croit que c’est Théo qui l’a banni du groupe, relate l’accusé.

Une première invitation au parc

Théo et Peter continuent de se lancer des insultes sur Discord dans les jours suivants à coup de messages et d’emojis. Chaque emoji a d’ailleurs été analysé jeudi pour connaître leur signification, par exemple une « grenouille qui pleure » ou un « panda qui louche ».

À la fin décembre, un conflit éclate entre Théo et son père, lorsque l’adolescent refuse de mettre fin à une partie de League of Legends pour aller manger en famille. Son père coupe alors l’internet manuellement. Le conflit s’envenime au point où la mère de Théo appelle la police. Bouleversé par cet incident, Théo sort marcher et écrit à Peter pour le rencontrer au parc, comme il était « son meilleur ami ».

Cette demande de Théo semble toutefois mettre de l’huile sur le feu, alors que les deux jeunes commencent à se lancer des insultes dans leur conversation en ligne. « Tu essaies de me rabaisser devant tout le monde. […] Quand on se verra dehors, tu vas prier pour pas que je t’en cogne une », lance notamment Théo. « Tu vas manger ce que tu mérites », poursuit Théo.

Quelques jours plus tard, le soir du 1er janvier, Théo et les deux frères s’étaient donné rendez-vous au parc Marc-Aurèle Fortin pour « régler » leur conflit. « J’avais une idée que ça pouvait dégénérer », a témoigné Peter pendant le procès. Les frères sont débarqués au parc avec trois amis, alors que Théo était seul. L’un d’entre eux, Nick, a témoigné que le plan initial était de « tous sauter » sur Théo.

Les trois témoins clés du procès-Peter, Nick et leur ami Carl-ont tous livré des versions divergentes du déroulement de la bagarre. Aucun d’entre eux n’a d’ailleurs vu le coup fatal. Cette semaine, Peter a raconté avoir posé le premier geste à l’égard de Théo en lui prenant le col du manteau pendant que son frère – la victime – donnait un coup de poing à l’accusé. Peter a vaguement relaté avoir vu Théo tenir un couteau.

« Des coups se donnaient, la majorité par [les deux frères]. Théo se préoccupait plus à se défendre qu’à redonner les coups », a décrit Nick pendant le procès. Selon ce témoin, Théo avait reçu une quinzaine de coups de poing lorsqu’il a brandi son couteau. Alors que les deux frères frappaient l’accusé, Nick et son ami Carl se sont alors lancés dans la mêlée.

« Là, on frappe Théo encore. On le fait tomber par terre. Si on frappe bien fort, il va lâcher le couteau. Il n’arrêtait pas de se débattre avec. C’est lorsqu’on l’a mis par terre que le couteau est tombé », a raconté Nick au policier.

Le témoignage de Théo se poursuit vendredi après-midi devant la juge Catherine Perreault. La juge a par ailleurs refusé cette semaine d’admettre en preuve l’interrogatoire de l’accusé après son arrestation, puisque son droit à l’avocat a été bafoué par les enquêteurs. L’adolescent plaidait alors la légitime défense et affirmait être tombé dans un « guet-apens » tendu par ses amis.

« Ma tête sonnait, j’entendais "bip", on dirait que j’allais mourir cette journée-là. […] Je voulais juste m’enfuir pour ma vie. J’avais peur. J’avais peur », a-t-il confié aux policiers.

« Je suis trop con. Mais je ne pensais pas que mon meilleur ami allait me faire ça, papa. C’était mon meilleur ami », confie Théo à son père à la fin de l’interrogatoire. « Qui va croire une personne sur quatre ? », se désole-t-il.

Théo est défendu par MGuy Poupart. MMarie-Ève Vautier représente le ministère public.

*Noms fictifs pour protéger l’identité des mineurs impliqués dans cette affaire