Le nouveau territoire des gangs de rue de Montréal, ce sont les réseaux sociaux, observent deux experts policiers dans le domaine. Une réalité dont les gangsters témoignent eux-mêmes. Rare incursion dans un univers criminel où la recherche de notoriété vaut plus qu’une vie humaine.

« Je suis hood famous »

Vengeance, loyauté et glorification de la criminalité sont au cœur des conflits entre gangs de la dernière année. Devenir hood famous : c’est l’objectif de la nouvelle génération de membres de gangs de rue à la détente facile. Incursion dans un monde où règne l’impunité, avec le gangsta rap et les menaces sur les réseaux sociaux en arrière-plan.

« J’ai pris les trois t-shirts, le man purse pis les souliers aussi », laisse tomber l’homme. De retour d’une séance de magasinage, il fait étinceler sa montre Rolex en manipulant soigneusement une ceinture Gucci achetée à Toronto l’été dernier. Avec des cartes Visa prépayées, jamais cash, ajoute-t-il d’un ton sans équivoque. Pour ne pas se promener avec trop d’argent sur lui et ne pas être repéré. L’individu a confirmé à La Presse qu’il était membre d’un gang de rue.

Des bijoux ostentatoires pendent à son cou tatoué. Serties de diamants, les lourdes chaînes signalent son street name et les deux chiffres qui le rattachent à sa clique. Il a accepté de répondre à quelques questions sans qu’aucun détail puisse permettre de l’identifier. Être snitch (mouchard), ça ne passe pas parmi les siens.

Il se tient debout sur le trottoir devant un taudis. Un demi-sous-sol à peine éclairé. De loin, on aperçoit les murs tachés. Un petit piano électrique. Tout le contraire de la montre clinquante, des bijoux opulents et des sandales Gucci.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Corps d'un jeune homme relié aux gangs de rue abattu à Laval le 17 août dernier

Résidence principale ou trap house (maison inhabitée utilisée pour le trafic de drogue) ? L’homme dans la fin vingtaine connu des policiers comme trafiquant de stupéfiants laisse planer le mystère, visiblement méfiant.

« J’ai survécu à tellement de balles que [mes ennemis] pensent que je fais du vaudou. J’ai le plus gros target sur le dos en ville », ricane le criminel.

En attendant, le nombre de visionnements de son vidéoclip de trap (style musical dérivé du hip-hop) grimpe autant que son envie de vengeance. Il a perdu des amis sous les balles, rage-t-il.

« Mais je suis vivant. Je suis hood famous. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Site d’une fusillade survenue à Saint-Henri le 25 août dernier

Pour comprendre ce qui anime les nouveaux acteurs du monde des gangs de rue, La Presse a rencontré deux jeunes qui en font partie, en plus de communiquer avec trois autres par écrit durant les derniers mois. Des sources policières ont confirmé à La Presse qu’ils étaient bel et bien associés à des gangs de rue.

« Tu dois te faire respecter pour devenir un steppa »

La rue a changé, insiste un autre jeune homme. Âgé de moins de 20 ans, il se donne des airs de vétéran que rien ne peut ébranler. Il parle des membres d’un influent gang de l’est de l’île comme de frères ou d’idoles. Il raconte de vieilles histoires de règlements de comptes comme on parle de la météo. Quand on mentionne les balles perdues, les victimes collatérales, les innocents blessés sur le trottoir ou devant chez eux, il reste de glace. Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. La loterie de la vie. Pas de chance, marmonne-t-il.

« Si quelqu’un t’insulte, tu dois te faire respecter pour devenir un steppa » (de l’anglais stepper, grimpeur, c’est-à-dire un criminel qui a gravi les échelons en tirant sur des membres de gangs rivaux pour « marquer des points »). Ça passe par des tentatives de meurtre.

Les cliques se sont multipliées. Avant, c’était entre Bleus et Rouges, poursuit-il.

À présent, on s’inspire de Chicago : tirer partout, tout le temps, sur toutes les cliques « qui te diss » (manquent de respect), témoigne cet individu du milieu criminel qui a refusé de préciser son allégeance.

Pourquoi ? Pour régler des querelles personnelles qui débutent parfois dans la rue, au bar, mais surtout dans les corridors de la prison de Rivière-des-Prairies, quand les regards se croisent. Pour « venger un patnè [ami] que je connais depuis back then [l’enfance]. Je peux juste pas les abandonner. C’est mes gars », formule-t-il.

Le modèle Chicago

Les gangs organisés autrefois dominés par un chef sont devenus des cliques formées autour du deuil d’une personne. Une sous-clique de Montréal-Nord a d’ailleurs pris le nom de G Baby Gang, en l’honneur de Jesse Dave Chatelier, tué en février dernier

Lisez l'article « Ce sont les mères de famille qui paient »

« Il y a maintenant des pactes qui se font quand quelqu’un meurt. Impossible de prévoir qui va frapper qui », révèle une source proche des 43.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La mère de Jesse Dave Chatelier tenant le portait de son fils tué en février dans une fusillade à Montréal-Nord

Certains assassinats frappent plus que d’autres et nourrissent les disputes fondées sur un sentiment d’appartenance inébranlable et le désir d’être le plus fort du quartier. Celui de Jesse Dave Chatelier. Celui de Donald Sainturne, une icône des Profit Kollectaz (PK), tué dans Montréal-Nord en 2015. Plus récemment, celui du rappeur Jerry Willer Jean-Baptiste, alias Mackazoe, à Rivière-des-Prairies en août dernier.

Plusieurs amis proches de Duckerns Pierre Clermont, alias Jeune Loup, rappeur influent lié aux gangs de rue de Villeray tué le mois dernier, ont affirmé à La Presse préparer leur vengeance.

Le double meurtre de Kevin Alves Loures et Guylianno Davance sur le boulevard Saint-Laurent en 2015 a poussé les gangs de Saint-Michel et d’Ahuntsic à vouloir se venger des PK, qu’ils croient responsables. Davance et Loures n’étaient pourtant pas liés aux groupes criminels, mais parmi leur entourage se trouvaient des membres de gangs.

  • Donald Sainturne, tué en 2015, est devenu une icône pour le gang Profit Kollectaz, qui souhaite venger sa mort.

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    Donald Sainturne, tué en 2015, est devenu une icône pour le gang Profit Kollectaz, qui souhaite venger sa mort.

  • Le rappeur Duckerns Pierre Clermont, alias Jeune Loup, tué le mois dernier. Certains de ses amis disent préparer leur vengeance.

    IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO

    Le rappeur Duckerns Pierre Clermont, alias Jeune Loup, tué le mois dernier. Certains de ses amis disent préparer leur vengeance.

  • Hommage rendu sur YouTube à Jesse Dave Chatelier, abattu l’hiver dernier

    CAPTURE D’ÉCRAN DE YOUTUBE

    Hommage rendu sur YouTube à Jesse Dave Chatelier, abattu l’hiver dernier

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Armées, impulsives et dotées d’un sentiment d’impunité par rapport aux policiers, les micro-cliques soudées par le deuil mettent en branle un engrenage complexe.

La couleur ne compte plus. Les Profit Kollectaz, qui ont commencé à porter le foulard vert, seraient en guerre sur trois fronts. Les 43, les 47 de Saint-Michel et CCL (Christophe-Colomb Louvain), la clique d’Ahuntsic, s’opposeraient désormais aux Profit Kollectaz. Les conséquences retentissent sous forme de coups de feu. Leur secteur est devenu plus chaud, puisque plusieurs groupes les visent.

Le conflit entre les PK et les 43 date de plusieurs années. Deux membres éminents des cliques opposées étaient autrefois amis. Une transaction de drogue aurait mal tourné entre les deux criminels. Le conflit a dégénéré jusqu’à ce qu’un membre vedette des 43 soit atteint par balles par erreur par un membre des PK.

Rap et ripostes

Les exemples de provocations sur l’internet entre membres de gangs sont flagrants. Comme le crime fait grimper le nombre de visionnements sur YouTube, les Profit Kollectaz et Zone 43 ne font pas dans la subtilité dans leurs exubérantes ripostes. Elles prennent la forme de vidéos de rap qui captent l’attention de certains jeunes du quartier. Attirés par les mises en scène, l’esthétique léchée truffée de symboles, ils suivent religieusement les nouveautés rap et tentent de décrypter les conflits.

  • Foulards bleus et rouges se côtoient dans ce clip du gang Profit Kollectaz.

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    Foulards bleus et rouges se côtoient dans ce clip du gang Profit Kollectaz.

  • Andrew Luberisse, alias Ali Baba, dans l’un de ses clips

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    Andrew Luberisse, alias Ali Baba, dans l’un de ses clips

  • Voiture criblée de balles montrée par Andrew Luberisse dans l’un de ses clips

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    Voiture criblée de balles montrée par Andrew Luberisse dans l’un de ses clips

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Dans le clip lancé en février d’un rappeur de Saint-Michel, le visuel est évocateur : des cristaux au bout d’une chaîne forment le nombre 47. Puis, une casquette rouge marquée du nombre 43. Les PK ont provoqué tellement de gens que les foulards bleus côtoient maintenant les rouges dans les clips et dans la rue.

Les 43 et les 47 apparaissent désormais dans des vidéoclips ensemble, signe d’une possible alliance.

Dans ses vidéoclips, l’un des principaux rappeurs des PK, Andrew Luberisse, n’hésite pas à montrer sa voiture criblée de balles. Il se vante fréquemment sur les réseaux sociaux de survivre à des tentatives de meurtre.

Dans un clip de deux hommes liés aux 43 datant de juillet dernier, on voit clairement le logo de la Pop Team, décrite dans la rue comme l’« escouade spéciale » des 43, selon nos sources criminelles. Un rappeur y arbore les mots « G Baby » sur sa casquette, en référence à Jesse Dave Chatelier. « Personne a pris, on doit faire un deuxième tour », chante le jeune homme. Ce qui veut dire : personne n’a été atteint par balle lors de la fusillade, il faut donc faire un deuxième tour pour atteindre quelqu’un.

IMAGE TIRÉE DE YOUTUBE

Rapport de police exhibé dans un clip du gang Zone 43

« En soirée pas très tard, on met des balles dehors », peut-on entendre dans la chanson de deux 43. On fait ici allusion au fait que les fusillades se déroulent en plein jour.

Ali Baba (Andrew Luberisse) est le membre des PK le plus présent sur les réseaux sociaux, nous confirment des sources policières. Arrêté en août dernier pour possession d’armes, il a insulté tous les rappeurs des 43 et s’est publiquement moqué de la mort de Jesse Dave Chatelier.

Au début d’un clip des 43 datant de mai dernier, on peut même voir un exemplaire papier d’un document de l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA). Ils se vantent souvent d’être impliqués dans des crimes liés aux armes.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse

Des cliques et des gangs

Zone 43

Gang de rue de Montréal-Nord

47

Gang de rue de Saint-Michel

146

Clique d’Ahuntsic, parfois appelée CCL (Christophe-Colomb Louvain)

Profit Kollectaz

Gang de rue de Rivière-des-Prairies, parfois appelé PK ou Profit Boyz

G Baby Gang

Regroupement d’amis proches de Jesse Dave Chatelier, tué l’hiver dernier, que certains veulent venger

Les réseaux sociaux, nouveau territoire des gangs

Un membre des Profit Kollectaz se vante du meurtre d’un rival du gang Zone 43 sur Instagram. Ses ennemis répliquent – sur le réseau social – en menaçant de faire couler le sang chez… sa grand-mère.

Bienvenue sur le nouveau champ de bataille des gangs de rue montréalais. Là où les conflits virtuels entraînent des conséquences funestes bien réelles.

Désormais, « les gangs de rue utilisent les réseaux sociaux pour faire la démonstration de leur puissance et défier leurs ennemis », résume l’experte en gangs de rue au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Caroline Raza dans le profil criminel d’un membre de gang de rue d’allégeance rouge récemment déposé à la cour.

Les conflits s’enveniment aujourd’hui sur Snapchat et Instagram, observe la sergente-détective depuis un an et demi ; période qui correspond à celle de la pandémie.

« Ton territoire dans la rue, tu ne pouvais pas l’occuper [en raison du couvre-feu], ç’a été une façon de pallier ça », a expliqué l’enquêteuse au tribunal dans la cause de Hensley Jean, membre du gang des « Goonz Squad » aussi appelé « 3369 » en référence à deux lignes d’autobus de la Société de transport de Montréal (33 et 69) dont la jonction se trouve au cœur du secteur Nord-Est de Montréal-Nord.

IMAGE TIRÉE D’INSTAGRAM

Image publiée sur Instagram d’Hensley Jean, membre du gang 3369, accompagnée du commentaire « Vous prenez un des miens, j’en prends 10 des vôtres » (traduction libre)

Aux yeux des gangsters, « la police n’existe pas sur Snapchat », a lancé l’experte.

Expert en armes à feu, le sergent-détective Marc-André Dubé fait le même constat : les gangs « ne se cachent plus » pour dire qu’ils sont en possession d’armes à feu.

Il y a cinq ans à peine, le phénomène était marginal. L’analyse de vidéoclips et de messages interceptés sur les réseaux sociaux constituait une « partie marginale » de son travail à l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA), chapeautée par la Gendarmerie royale du Canada.

Or, aujourd’hui, le phénomène a explosé, si bien qu’il ne suffit plus à la demande. « Le volume est trop gros, a-t-il illustré. Actuellement, on déborde. »

Sur son compte Instagram, Hensley Jean pointe une arme à feu prohibée Beretta 90 vers la caméra. Son gang – le 3369 – utilise un logo sur les réseaux sociaux et dans les vidéoclips de certains rappeurs reliés à l’organisation. Sur ce logo de couleur rouge, les inscriptions 3369 et « Lapierre Pascal » apparaissent en référence au coin des rues Lapierre et Pascal dans le secteur Nord-Est de Montréal-Nord.

Au coin de ces rues, il y a un petit centre commercial, des restaurants et un marché d’alimentation. Des criminels associés à des gangs structurés ou à des groupes informels se sont appropriés ce coin depuis de nombreuses années. Ceux qui ont le plus d’influence se nomment les « Blood Mafia Family », « LP Block », « 3369 », et plus récemment « Zone 43 ». Tous d’allégeance rouge, ils ont entre eux « des relations parfois coopératives, parfois conflictuelles », souligne l’experte en gangs de rue.

  • Photo d’Hensley Jean publiée sur Instagram

    IMAGE TIRÉE D’INSTAGRAM

    Photo d’Hensley Jean publiée sur Instagram

  • Logo du gang 3369

    IMAGE TIRÉE D’INSTAGRAM

    Logo du gang 3369

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« Ils s’y livrent au trafic de stupéfiants dans ce qui s’apparente à un marché de stupéfiants à aire ouverte, au vu et au su des résidants », précise cette spécialiste du SPVM.

Depuis septembre 2019, 45 % des évènements de coups de feu impliquant meurtres ou tentatives de meurtre répertoriés à Montréal-Nord ont eu lieu dans ce secteur névralgique du Nord-Est (13 sur 29).

IMAGE LA PRESSE

Secteur où ont été répertoriés par le SPVM 45 % des évènements de coups de feu à Montréal-Nord

Des artistes rappeurs locaux comme White Ghost (Gabriel Ward) et Kiddzy (Etssin Exavier) – qui s’identifient à des gangs d’allégeance rouge, toujours selon l’analyste du SPVM – y tournent des vidéoclips. Ils y parlent de faire la loi, de violence, de « ghetto », de stupéfiants, d’armes à feu et de munitions.

La « majorité » des fusillades survenues récemment à Montréal-Nord et à Rivière-des-Prairies sont liées à la guerre que se livrent les Profit Kollectaz (aussi appelés Profit Boyz) et Zone 43, toujours selon l’experte du SPVM.

En toute impunité

Sur le compte Instagram du rappeur Kidzzy, sous une publication datant d’avril dernier, une conversation entre des gangs de Montréal-Nord et leurs ennemis – les Profit Kollectaz de Rivière-des-Prairies – en dit long sur leur sentiment d’impunité.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La fenêtre d'un appartement criblée de balles

Un membre des Profit Kollectaz – Andrew Luberisse – « semble s’approprier » l’homicide par arme à feu d’une relation du gang Zone 43 Jesse Dave Châtelier.

Ce même Luberisse fait allusion à un autre ennemi : Jeffrey Fort alias Teflon, victime d’une tentative de meurtre par arme à feu. Il sous-entend également que le gang d’allégeance rouge n’a pas réussi à se venger en tuant quelqu’un de son camp : « Yall got zero Bodies ». Un autre profil associé au même gang se moque d’une autre relation du gang Zone 43 – Stevens Estimable alias Rebel – atteint par balle à Montréal-Nord en janvier 2020 en disant qu’il est désormais forcé de « chier dans un sac » (« hes shitting in a bag now »).

  • Échanges entre membres de gangs rivaux sur Instagram

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    Échanges entre membres de gangs rivaux sur Instagram

  • Échanges entre membres de gangs rivaux sur Instagram

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    Échanges entre membres de gangs rivaux sur Instagram

  • Échanges entre membres de gangs rivaux sur Instagram

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    Échanges entre membres de gangs rivaux sur Instagram

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La réplique ne se fait pas attendre. Des profils Instagram liés aux gangs de Montréal-Nord lui rappellent que son frère – Johnny Sully – a été atteint par balle à la poitrine à Rivière-des-Prairies en 2019 alors qu’il sortait de chez sa grand-mère. « Stop talking before we go and wet your grandma’s place », ajoutent-ils, sous-entendant qu’ils attaqueront la résidence de sa grand-mère s’il n’arrête pas de parler.

Des membres vont même jusqu’à mettre des images d’eux sur les réseaux sociaux en train de s’entraîner dans des salles de tir en banlieue de Montréal alors que certains sont déjà sur le coup d’une interdiction de posséder une arme.

La police constate une « arrogance » chez les membres de gang, « un changement d’attitude face aux conséquences de se faire prendre en possession d’une arme à feu » comme s’ils s’en fichaient de se faire arrêter, a témoigné l’enquêteur Dubé d’ENSALA. En février dernier, des membres d’un gang ont été arrêtés alors qu’ils étaient armés après une agression au domicile ratée. Ce qui n’a pas empêché d’autres gangsters de se pointer à la même adresse… deux jours plus tard et de tirer en direction de la police quand cette dernière a fait irruption sur les lieux.

Au mépris des victimes collatérales

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Les fusillades ont fait plusieurs victimes collatérales ces derniers mois, dont Meriem Boundaoui, 15 ans, tuée alors qu’elle se trouvait dans un véhicule en février dernier.

« Ce sont des règlements entre gangs ; ils se tirent entre eux. »

Cette réflexion qui banalise la flambée des fusillades que connaît le Grand Montréal actuellement fait « sursauter » l’enquêteur Marc-André Dubé, de l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA), chaque fois qu’il l’entend.

Et il l’entend souvent, déplore-t-il. Or, les gangs de rue montréalais ont fait des victimes collatérales ces derniers mois.

Avec l’augmentation des fusillades à « haute intensité » (cette année, à 20 reprises, on a retrouvé plus de 10 douilles sur une scène de crime à Montréal), les lieux choisis (parc, secteur résidentiel, stationnement public) et la vélocité des projectiles (de 900 à 1100 pieds par seconde pour un projectile de 9 mm), « il y en aura d’autres », prévient l’enquêteur spécialisé.

« C’est la loi des probabilités », lâche-t-il.

En 2020, environ 400 douilles ont été trouvées sur les scènes de crime à Montréal à la suite de 115 évènements. Cette année, en date du 24 août, on comptait déjà 367 douilles trouvées à la suite de 86 fusillades *.

Une adolescente de 15 ans – Meriem Boundaoui – est morte en février dernier, atteinte pendant une fusillade à Saint-Léonard.

  • Des proches de Meriem Boundaoui honorent sa mémoire à l’endroit du drame en février dernier.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    Des proches de Meriem Boundaoui honorent sa mémoire à l’endroit du drame en février dernier.

  • Gerbes de fleurs et messages à la mémoire de Meriem Boundaoui, 15 ans

    PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

    Gerbes de fleurs et messages à la mémoire de Meriem Boundaoui, 15 ans

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Un ado de 13 ans et une jeune femme de 18 ans ont aussi été blessés par balle dans deux évènements distincts alors qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment, le premier dans la Petite-Bourgogne, la seconde dans le Vieux-Montréal.

Un autre Montréalais – celui-ci dans la soixantaine – ne marchera plus jamais après avoir été atteint par balle à l’automne 2020 pendant un épisode de « scoring ».

Ce nouveau phénomène contribue à la flambée de la violence dans la métropole. Quand un membre d’un gang est tué, ses amis se dépêchent d’attaquer le quartier du gang rival pour « faire des points », selon l’experte des gangs de rue Caroline Raza, du Service de police de la Ville de Montréal, leur objectif étant de « tirer partout dans le secteur » pour se venger, même s’ils ignorent qui est l’auteur du meurtre.

Or, personne n’a encore été arrêté relativement au crime le plus grave : l’assassinat de l’adolescente de 15 ans. Ni à la suite de l’affaire de la victime innocente devenue paraplégique.

Le sentiment d’impunité des membres de gangs de rue vient-il de cette difficulté à les faire condamner ? Ou encore de peines qui ne seraient pas suffisamment dissuasives ?

Certains membres de gang n’hésitent pas à carrément défier les forces de l’ordre. « Dog, chu un goonz squad… personne n’a le droit de me toucher », a déjà dit Hensley Jean à un policier venu l’arrêter.

Une juge de la Cour supérieure a posé la question à l’enquêteur Marc-André Dubé plus tôt cette semaine, lors des observations sur la peine du gangster d’allégeance rouge. Le policier n’a pas voulu s’avancer sur le terrain de la sévérité des peines. Mais chose certaine, a-t-il dit, ces gars-là sont « prêts à tout » pour « protéger leur profit » – tiré de leurs activités criminelles – « au mépris de tout ce qui se trouve autour ».

* L’expert a témoigné plus tôt cette semaine, au procès d’un gangster, qu’il avait recensé 100 fusillades depuis le début de l’année – en date du 24 août dernier –, avant de corriger le nombre le lendemain. Le total est bel et bien de 86 fusillades du 1er janvier au 24 août dernier à Montréal.

D’où viennent les armes ?

PHOTO ROBYN BECK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’achat d’armes fantômes par internet est devenu aisé, et les gangs en profitent.

Oubliez l’idée selon laquelle les gangs se procureraient leurs armes sur le dark web, dit l’expert en armes à feu Marc-André Dubé. « L’accessibilité aux armes à feu a augmenté », selon le sergent-détective, avec l’apparition des armes fantômes (ghost guns). Le pistolet de type Glock assemblé illégalement à partir d’une carcasse de finition artisanale Polymer80 est devenu l’arme de prédilection des gangsters. Fabriqué et vendu par la poste aux États-Unis, le Polymer80 contient 80 % des pièces d’un pistolet semi-automatique de calibre 9 mm ou .40 à assembler soi-même. Si ces pistolets sont si populaires, c’est qu’il s’agit d’« armes de qualité à faible coût (de 500 à 600 $ pour les carcasses) », explique-t-il. Et surtout, ils passent sous le radar de la police, car ils n’ont pas de numéro de série, d’où le surnom d’armes fantômes.