Tse Chi Lop est accusé d’être le trafiquant le plus important d’Asie

Le gangster canadien Tse Chi Lop, autrefois actif à Montréal et aujourd’hui accusé d’être devenu le plus important trafiquant de drogue de toute l’Asie, croit que plusieurs pays ont manœuvré ensemble récemment pour l’empêcher de se réfugier au Canada, où notre système lui aurait accordé une meilleure protection contre une tentative d’extradition.

« C’est ce que nous croyons qui est en train de se passer, et c’est ce que nous avons demandé à la cour à Rotterdam d’examiner », a confirmé son avocat André Seebregts, joint par La Presse aux Pays-Bas, où Tse Chi Lop est détenu en attendant que les autorités statuent sur une demande d’extradition présentée par l’Australie.

Tse Chi Lop, 57 ans, est un membre connu des Big Circle Boys, un réseau de criminels originaires de Guangzhou, en Chine, qui ont d’abord essaimé à Hong Kong, puis partout dans le monde.

Il a émigré au Canada en 1988 et s’est installé en Ontario, où il a obtenu sa citoyenneté. Dès les années 1990, son nom a commencé à circuler à Montréal relativement à diverses activités illicites, selon des transcriptions de témoignages entendus à la cour. Il avait des associés au Québec, où il se rendait parfois pour affaires.

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Tse Chi Lop a été envoyé en prison une seule fois, à la suite d’une opération commune du FBI et du Service de police de la Ville de Montréal.

En 1998, il a été arrêté dans une opération commune du FBI et du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Pour avoir organisé le passage d’héroïne du Canada vers New York avec l’aide de la mafia montréalaise, il a été condamné à neuf ans de prison.

Après sa libération, il s’est installé en Asie, où il est accusé d’avoir organisé une « mégafusion » des groupes du crime organisé asiatique au sein d’un immense syndicat du crime baptisé « Sam Gor ». Son groupe serait dominant dans le trafic de drogue sur tout le continent.

« Ce n’est certainement pas exagéré de le comparer à El Chapo ou à Pablo Escobar », a déclaré à La Presse Jeremy Douglas, représentant régional de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime à Bangkok, l’hiver dernier.

Plus pratique de l’envoyer aux Pays-Bas

Tse Chi Lop vivait à Taiwan depuis un certain temps, selon son avocat. En janvier, les autorités lui ont soudainement annoncé que son statut d’immigration n’était pas en règle et qu’il devait être expulsé vers son pays de citoyenneté, le Canada. En quelques heures, il s’est retrouvé dans un avion.

Ce jour-là, il y avait un vol direct de Taiwan vers le Canada, explique MSeebregts. Mais son client a plutôt été mis sur un vol qui faisait escale à Amsterdam. Pendant l’escale, la police néerlandaise l’a arrêté et lui a annoncé qu’il serait détenu en vertu d’une demande d’extradition de l’Australie, qui veut le juger pour trafic de drogue.

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André Seebregts, avocat de Tse Chi Lop aux Pays-Bas

Le droit taïwanais prévoit que l’on ne peut être envoyé que dans son pays de nationalité, à moins que l’on donne son accord pour être envoyé ailleurs. Mon client n’a jamais donné son accord pour être envoyé aux Pays-Bas.

André Seebregts, avocat de Tse Chi Lop aux Pays-Bas

« Autre fait étrange : un procureur aux Pays-Bas a admis que huit jours plus tôt, les Australiens avaient joint les autorités néerlandaises et leur avaient annoncé que mon client arriverait ici », dit-il.

Selon Me Seebregts, les autorités de l’Australie, de Taiwan et des Pays-Bas semblent avoir collaboré pour que la demande d’extradition soit faite ailleurs qu’au Canada, où Tse Chi Lop s’en retournait.

« C’était beaucoup plus pratique de l’envoyer aux Pays-Bas qu’au Canada afin de demander son extradition », croit le juriste, qui a demandé mardi au tribunal de Rotterdam de se pencher sur les circonstances de l’affaire, qui pourraient avoir privé Tse Chi Lop d’une défense pleine et entière.

Crainte d’une peine à perpétuité

Les juges australiens peuvent imposer des peines extrêmement sévères dans les dossiers criminels. Des dizaines de détenus purgent en Australie des peines de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Étant donné que Tse Chi Lop est présenté comme le dirigeant d’une organisation sanguinaire et extrêmement dangereuse, son avocat craint qu’il s’expose à une telle peine.

Au Canada et aux Pays-Bas, le risque de se voir imposer une peine aussi lourde pourrait être un motif pour contester l’extradition. « Ça pourrait certainement être la base d’un argumentaire pour demander au ministre de la Justice de ne pas ordonner l’extradition », affirme l’avocat québécois Stéphane Handfield, qui a déjà contesté plusieurs demandes d’extraditions au Canada.

Le droit néerlandais permet toutefois à un pays étranger de demander l’extradition d’un accusé pour certains crimes mineurs et d’ajouter de nouvelles accusations, beaucoup plus lourdes, une fois qu’il a été extradé. L’accusé est ainsi extradé sans qu’on craigne une peine anormalement lourde, puis les nouvelles accusations sont ajoutées. André Seebregts croit que c’est la stratégie adoptée dans le cas de son client, puisque l’Australie a seulement demandé son extradition pour une toute petite partie des crimes dont il est apparemment soupçonné.

Au Canada, une telle stratégie ne fonctionnerait pas.

Si le Canada accepte d’extrader quelqu’un pour un crime, le pays de destination ne peut pas ajouter de nouveaux crimes dans le même dossier après l’extradition.

Stéphane Handfield, avocat en droit de l’immigration

Par ailleurs, Tse Chi Lop est actuellement détenu dans une prison à sécurité maximum en attendant que la justice néerlandaise statue sur son sort. Au Canada, il aurait vraisemblablement pu être remis en liberté et rester confortablement chez lui pendant le processus.

Me Seebregts affirme que la détention est difficile pour son client, qui souhaite toujours revenir au Canada. « Il nie toutes les allégations contre lui », assure-t-il.

Mardi, devant le tribunal, Tse Chi Lop a nié diriger une organisation criminelle. « Les médias de masse me qualifient de baron de la drogue, mais c’est faux », a-t-il déclaré, selon des propos cités par l’agence de presse ANP.

Enquête avortée

Calvin Chrustie, ancien officier responsable des projets d’enquête majeurs pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en Colombie-Britannique, croit que la police australienne aurait eu de bonnes raisons de s’inquiéter si la question de l’extradition avait été traitée devant les tribunaux canadiens.

« J’ai travaillé avec les Australiens, les Britanniques, les Américains. Les gens sont souvent nerveux à l’idée de travailler avec nous, parce qu’ils savent que notre système de justice dépassé et vieillot est incompatible avec la nature des réseaux du crime organisé moderne », dit-il.

« Nous sommes souvent perçus comme le maillon faible et sommes souvent exclus des opérations internationales à cause de notre système judiciaire dysfonctionnel, notamment nos lois de divulgation », croit-il.

Dans son récent livre Willful Blindness (Aveuglement volontaire), le journaliste d’enquête du réseau Global News Sam Cooper avance d’autres raisons qui pourraient expliquer la frilosité de la police australienne.

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Wilful Blindness, de Sam Cooper

Le journaliste, qui a remporté de nombreux prix pour ses enquêtes sur le trafic de drogue et le blanchiment d’argent au Canada anglais, affirme que Tse Chi Lop a encore de l’autorité sur un solide réseau de trafiquants de crystal meth dans la région de Markham, en Ontario. Des discussions ont eu lieu entre la GRC et la police australienne depuis 2014 à ce sujet. Des associés de Tse Chi Lop ont ensuite été mis sous surveillance au Canada.

En 2016, un nouveau patron a pris le contrôle du Centre national de coordination du renseignement de la GRC. Son nom était Cameron Ortis. Il a contredit tous les experts du Canada et de l’Australie au sujet de l’importance du gangster canadien.

L’unité d’Ortis n’était pas intéressée par les liens de Tse Chi Lop […] Et l’enquête naissante de la GRC sur Sam Gor à Markham s’est dégonflée.

Le journaliste Sam Cooper, citant des sources confidentielles, dans son livre Wilful Blindness

À la même époque, la priorité accordée aux groupes internationaux du crime organisé chinois a été réduite au sein de la GRC, affirme l’auteur. « Certains au sein de la GRC se demandent si Ortis a influencé ces décisions étranges », affirme Sam Cooper, dans son ouvrage publié aux éditions Optimum.

Peu après, en 2019, Cameron Ortis a été arrêté pour avoir transmis des informations confidentielles à des criminels et tenté de transmettre des secrets canadiens à une « entité étrangère ». Il est en attente de son procès à cet égard.

Mercredi, la GRC a indiqué à La Presse qu’elle continuait de collaborer à des enquêtes criminelles avec l’Australie, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande au sein de ce qu’elle appelle le « Groupe des cinq des forces de l’ordre ». Et que tous les membres continuent de s’épauler.

« La communication et la collaboration entre tous les membres du Groupe des cinq demeurent actives, productives et souhaitées par tous les partenaires », a déclaré la caporale Kim Chamberland.

Le dossier de Tse Chi Lop reviendra en cour à Rotterdam le 2 juillet.