(Québec) La plaignante dans le procès pour agression sexuelle de Michel Venne, c’était elle. L’auteure et documentariste Léa Clermont-Dion a fait lever mercredi matin l’interdit de publication qui empêchait les médias de la nommer.

« Je trouve ça fondamental de lever l’interdit de publication et de me tenir debout. La honte a changé de camp. Je n’ai plus honte de quoi que ce soit. Je me sens complètement libérée. Je ne veux plus me cacher », a déclaré la femme de 30 ans lors d’une entrevue avec La Presse mardi.

« Peu importe le verdict, mon propos reste le même. Mon but, ce n’est pas la sentence, ce n’est pas qu’il soit coupable non plus, dit-elle. C’est d’avoir été entendue par des représentants de l’État qui reconnaissent qu’il y a potentiellement un crime qui a été commis à l’endroit d’une mineure. »

Michel Venne a été reconnu coupable d’agression et d’exploitation sexuelle mercredi matin, au palais de justice de Québec.

La jeune femme avait porté plainte à la police en octobre 2017. Elle avait alors fait une sortie sur les réseaux sociaux. Mais son identité avait été protégée par la cour durant le procès de deux semaines l’hiver dernier, car elle était mineure au moment des faits.

Pour la plaignante, le verdict n’était pas le plus important. Elle voulait avant tout aller au bout du processus judiciaire. C’était son processus de guérison, dit-elle.

« Pour moi, ç’a été positif malgré tout, parce que j’ai été écoutée et entendue, par un procureur, par des enquêteurs. J’ai été vraiment bien reçue. Je me sens choyée d’avoir été aussi bien accompagnée », remarque-t-elle.

Durant le procès, Mme Clermont-Dion a raconté comment le fondateur de l’Institut du Nouveau Monde (INM) et ancien éditorialiste du Devoir a commis des attouchements à son endroit à Québec en 2008. Elle avait alors 17 ans et était stagiaire à l’INM.

Améliorer le système

Ces derniers mois ont été l’occasion pour elle de réfléchir au processus judiciaire qui attend les plaignantes dans des histoires d’agression sexuelle. D’abord parce qu’elle a été au cœur d’un procès elle-même.

Mais aussi car elle prépare une série documentaire pour Noovo.ca qui sera présentée à la fin de l’été et qui s’intéresse à cette question. Elle était d’ailleurs accompagnée d’une équipe de tournage mercredi matin au palais de justice de Québec.

Elle explique avoir vécu des moments difficiles fin janvier dans le cadre du procès. Elle a notamment été la cible d’un contre-interrogatoire musclé des avocats de la défense.

La méthode est souvent la même lors des procès pour agression sexuelle, où la preuve repose parfois presque entièrement dans le témoignage de la victime : il s’agit pour la défense d’attaquer la crédibilité de cette dernière.

« J’ai trouvé ça physiquement très difficile. À un moment je me suis sentie comme si j’étais devenue l’agresseur. Je me suis sentie culpabilisée. Je ne me sentais pas à l’aise », dit-elle à propos du contre-interrogatoire.

Elle milite pour l’adoption de techniques d’interrogatoire plus « bienveillantes », avec de l’écoute et de l’empathie. « On va aller chercher le même résultat en test de preuve. Ça pourrait être utilisé par les avocats de la défense, ce n’est pas obligatoire d’être méprisant, arrogant, etc. »

Elle critique également les délais (il s’est écoulé trois ans et demi entre sa plainte et le verdict). Elle suggère aussi que les plaignantes dans des histoires d’agression sexuelle soient accompagnées dans le processus judiciaire, un peu comme le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) le fait pour les enfants témoins.

Le documentaire lui a permis de réfléchir à ces questions. Il a été, avec le procès et peut-être même davantage que ce dernier, un outil dans son processus de guérison, dit-elle.

« Je me sens bien, je me sens sereine, parce que j’ai eu la chance de parler à plusieurs victimes qui ont partagé leur expérience. Je me suis rendue compte au final que j’étais loin d’être la seule à avoir vécu des choses moins le fun. »

« Je ne veux pas trop me plaindre, je suis privilégiée, je suis une femme blanche privilégiée qui a la chance d’avoir été super bien accompagnée », ajoute-t-elle.

« Je doute que ce soit la même réalité pour certaines personnes qui vivent du racisme ou dans une situation économique précaire. Je ne sais pas si elles ont le même traitement que moi. »