Le premier week-end de déconfinement à Montréal a été marqué par une douzaine d’évènements violents dans les rues de la métropole, dont plusieurs sont l’œuvre de groupes criminels. Une situation qui inquiète policiers et résidants.

« Cette première fin de semaine de déconfinement est préoccupante », a affirmé l’inspecteur David Shane, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lundi, en marge d’un échange de coups de feu qui a mené au déploiement du Groupe tactique d’intervention (GTI) en plein cœur du Vieux-Montréal. En plus des évènements violents, le policier a souligné des rassemblements extérieurs au cours desquels les mesures sanitaires n’ont pas été respectées.

Selon la police, « la majorité » des altercations violentes sont « liées à des groupes criminels ». « On ne croit pas que ce sont des citoyens festifs qui sont sortis du confinement et qui se sont mis à tirer des coups de feu. On parle plus [de criminels] », a précisé l’inspecteur Shane.

Ce dernier rappelle que pendant le confinement, une « hausse atypique » d’évènements violents, comme des coups de feu, a eu lieu dans le nord et dans l’est de l’île, puisque le centre-ville était inanimé. « C’est là que les groupes rivaux se croisaient, et ça dégénérait. » Mais avec le déconfinement progressif, M. Shane prévient que ces types d’évènements « risquent de se déplacer ».

Le week-end de violence a commencé avec un coup de feu tiré dans les airs dans le Village, vendredi matin. En soirée, un jeune homme a été tué par balle à Montréal-Nord. Plusieurs autres échanges de tirs ont eu lieu ailleurs en ville. Samedi et dimanche, deux échanges de tirs ont semé l’émoi dans le Vieux-Montréal.

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Un peu après minuit, dans la nuit de samedi à dimanche, un coup de feu a blessé une victime collatérale, une femme de 18 ans, près du quai de l’Horloge.

Parmi la douzaine d’évènements répertoriés, les policiers ont procédé à des arrestations dans « au moins » cinq d’entre eux.

Tirs dans le Vieux-Montréal

Dans le Vieux-Montréal, qui a été le théâtre de deux échanges de tirs en 24 heures, la situation est « inquiétante », selon Christine Caron, présidente de l’Association des résidants du Vieux-Montréal.

On comprend qu’avec la fin du confinement, les gens ont besoin de fêter, mais cela n’explique pas la violence. On craint que le quartier devienne comme le boulevard Saint-Laurent, où il y avait des violences en continu et où les policiers devaient être présents en permanence.

Christine Caron, présidente de l’Association des résidants du Vieux-Montréal

Un peu après minuit, dans la nuit de samedi à dimanche, un coup de feu a blessé une victime collatérale, une femme de 18 ans, près du quai de l’Horloge. Un homme de 19 ans a aussi été blessé à l’arme blanche.

La nuit suivante, plusieurs coups de feu ont éclaté près de l’hôtel de ville. Selon nos informations, les évènements seraient survenus à la suite d’un rassemblement d’une vingtaine de personnes dans un appartement loué sur une plateforme de style Airbnb. Tout a commencé lorsque des policiers, qui patrouillaient dans le secteur, ont entendu les bruits de tirs. Près de la scène, ils ont découvert un homme de 29 ans, blessé à un bras et à l’abdomen. Les policiers ont ensuite vu quatre hommes qui fuyaient les lieux ; ils les ont interceptés et arrêtés. Ils ont aussi repéré à proximité un véhicule dans lequel une arme de poing était visible.

Lundi matin, sous le regard curieux des passants, un chien policier s’est mis à aboyer. Un véhicule blindé circulait en pleine rue. Les policiers ont évacué quelques dizaines de personnes d’un appartement de la rue Saint-Antoine, entre la rue Saint-Denis et l’avenue de l’Hôtel-de-Ville.

Ces personnes sont sorties du bâtiment, les mains en l’air. Lors du passage de La Presse, plusieurs des individus étaient interrogés par la police, et un long cortège de voitures de police étaient garées sur la chaussée. Un large périmètre de sécurité avait été érigé.

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Cortège de voitures de police devant un appartement de la rue Saint-Antoine, entre la rue Saint-Denis et l’avenue de l’Hôtel-de-Ville, lundi

Le SPVM a procédé pour l’instant à six arrestations, dont la victime Alex Justin Sainturne, qui est considéré comme suspect dans l’affaire. Aucun des individus impliqués ne collabore avec les enquêteurs. Selon nos informations, cet évènement pourrait être relié à un conflit qui oppose depuis plusieurs mois deux gangs de rue du nord-est de Montréal, les Profit Boyz (ou Profit Kollectaz) et les Zone 43. Cette fusillade pourrait également être reliée à d’autres incidents survenus en fin de semaine dans le nord-est de Montréal, dont une tentative de meurtre contre un proche de Sainturne survenue samedi dans le quartier Rivière-des-Prairies.

Parmi les personnes arrêtées, seul Keven Desprez, une figure bien connue des policiers pour sa longue feuille de route, a comparu au palais de justice de Montréal, lundi après-midi, pour non-respect de conditions. Représenté par son avocat, M. Desprez paraissait calme. Il a plaidé non coupable, et la Couronne s’est opposée à sa remise en liberté. Desprez est notamment connu pour ses liens avec les gangs d’allégeance rouge. Il est le fils de Beauvoir Jean, fondateur du premier gang de rue de Montréal, les Master B.

Selon l’inspecteur Shane, il est « trop tôt » pour déterminer si les deux fusillades sont reliées.

« Je crains pour ma terrasse et mes clients »

Sur la place Jacques-Cartier, au restaurant Maggie Oakes, la maître d’hôtel Julia Ma faisait part de ses inquiétudes.

D’abord pour mes employés. Celles qui finissent tard le soir, ce sont des filles et elles doivent marcher jusqu’à leurs voitures qui sont stationnées plus loin. C’est sûr que j’ai une crainte pour elles.

Julia Ma, maître d’hôtel du restaurant Maggie Oakes

« Je crains aussi pour ma terrasse et pour mes clients. Il y a eu des feux d’artifice et on s’entend que les gens ne sont pas à jeun quand ils font ça », ajoute-t-elle.

« Je sais que les policiers travaillent très fort, mais je pense qu’on devrait mettre plus de policiers [dans le secteur] pour que ce soit plus sécuritaire, pour rassurer les gens », conclut-elle.

À savoir si le SPVM déploiera une présence policière accrue dans les secteurs agités, M. Shane répond que cette présence « sera ajustée au besoin ». « Si ça en prend plus [de policiers], on va en mettre plus », affirme-t-il.

Il espère également que la population continuera de respecter les mesures sanitaires, malgré le déconfinement, et rappelle l’importance de communiquer avec le SPVM si quiconque détient des informations en lien avec des évènements violents.

Le « sérieux du problème » des armes à feu

Le 29 avril, lors de l’enquête sur remise en liberté d’un individu accusé de possession d’arme, un policier du SPVM expert en armes à feu, Marc-André Dubé, membre de l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA) dirigée par la Gendarmerie royale du Canada, a témoigné et annoncé avoir dénombré, au cours des quatre premiers mois de l’année à Montréal, 32 évènements de coups de feu qui ont mené à la récupération de 134 douilles percutées.

« Les crimes liés aux armes à feu exposent les Montréalais à de graves dangers. La sécurité du public doit être soigneusement préservée. Dans le présent dossier, les statistiques déposées par le sergent-détective Dubé viennent illustrer sans l’ombre d’un doute le sérieux du problème. Les tribunaux se doivent de prendre cette menace publique au sérieux. Il serait irresponsable de banaliser le danger que présentent les armes de poing illégales. La situation exige que les tribunaux adoptent une approche pragmatique à cet égard », a écrit le juge Dennis Galiatsatos, de la Cour du Québec, en refusant d’accorder à l’individu sa libération provisoire le 3 mai dernier.

— Daniel Renaud, La Presse