C’est la tête penchée, les mains constamment jointes, qu’Harmandeep Singh a religieusement écouté les témoignages des membres d’une famille mexicaine dont il a brisé les vies le 3 août 2017, sur l’autoroute 30 à Brossard.

Cette nuit-là, le camionneur ontarien a violemment heurté avec son semi-remorque une voiture dans laquelle se trouvaient quatre personnes venues visiter des membres de leur famille au Québec, avant de quitter les lieux de la collision sans s’arrêter.

Sous la force de l’impact, la voiture a fauché un lampadaire. Ariel Garcia Ramos, 21 ans, a péri dans la collision, alors que les trois autres occupants, son frère Saul Ramos, 16 ans, leur mère, Paula Sandra Ramos, et le conjoint de cette dernière, Tulio Galindo, ont été sérieusement blessés.

En juin, Singh, 26 ans, a été reconnu coupable de ne pas s'être arrêté à la suite d'un accident entraînant des lésions corporelles ou la mort.

Mardi matin, au palais de justice de Longueuil, dans le cadre des plaidoiries sur la peine, les survivants et des membres de la famille ont témoigné ou déposé des lettres, exprimant leur peine, leurs souffrances et leur colère.

« On dit que le temps arrange tout, mais je ne le crois pas, trois ans plus tard. La vie de mon fils a été brutalement interrompue à 21 ans. Je ne saurai jamais ce qu’aurait été la vie avec lui. Se souvenir de lui, regarder des photos, ce n’est pas assez. Je n’accepterai jamais la façon dont il m’a été enlevé. Si je suis incapable d’être en paix, je ne vois pas comment monsieur [Singh] en serait capable », a déclaré Sandra Paula Ramos, qui s’est présentée devant la juge Dannie Leblanc, de la Cour du Québec, appuyée sur une canne.

Tulio Galindo, lui aussi aidé par une canne, a longuement énuméré les blessures qui le minent toujours.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Tulio Galindo enlace Alicia Galindo durant une pause au palais de justice de Longueuil.

« Je dois prendre 15 pilules par jour. La douleur m’empêche de dormir et je tourne dans mon lit toute la nuit », a-t-il dit.

« Aujourd’hui, je fais des crises de panique lorsque je conduis sur l’autoroute et que je vois des camions semi-remorques, surtout durant la nuit et l’hiver. Je n’ai toujours pas de réponse sur les causes de la collision », a témoigné Alicia Galindo, tante par alliance d’Ariel Garcia Ramos, en dénonçant les chauffeurs de poids lourds qui ont peu d’expérience, et leurs employeurs.

« Le conducteur est un irresponsable et n’a pas de considération envers la vie. Il a quitté les lieux comme si rien ne s’était passé. Il a lâchement quitté le Canada », a renchéri le père biologique d’Ariel Garcia Ramos dans une lettre.

Fuite en Inde

L’enquête de la Sûreté du Québec a établi qu’au moment de la collision, le camion semi-remorque du délinquant roulait à 105 km/h et la voiture des victimes, à 67 km/h.

Le lendemain, le poids lourd de Singh a été retrouvé par la police dans le stationnement d’une entreprise de l’arrondissement de Lachine, à Montréal. Le conducteur était déjà retourné en Inde, son pays natal.

Singh a fait l’objet d’un mandat pancanadien et a été arrêté à l’aéroport Trudeau en janvier suivant.

Durant son procès, il a dit que c’est parce qu’il était sous le choc et en panique qu’il ne s’est pas arrêté après l’impact, mais la juge ne l’a pas cru, en tenant compte de toute l’organisation faite par Singh pour quitter le pays rapidement.

Mardi, Singh a de nouveau témoigné et raconté qu’il est arrivé au Canada en 2012, à l’âge de 18 ans, pour avoir un meilleur avenir. Il veut devenir citoyen canadien. Il a ajouté que deux jours après avoir fui en Inde, il a voulu revenir pour faire face aux conséquences de ses actes. Il a de la difficulté à dormir, les images de la collision lui reviennent en mémoire constamment et il pourrait être extradé après sa condamnation. Il regrette d’avoir quitté les lieux de l’accident – une erreur, a-t-il dit.

« Je me sens très mal pour les victimes. J’espère qu’elles me pardonneront un jour, mais moi, je ne me pardonne pas. J’aimerais ramener leur fils et leur frère si je le pouvais », a déclaré Singh.

Le procureur de la poursuite, MFrançois Parent, a réclamé une peine d’emprisonnement de 18 mois, assortie d’une interdiction de posséder un permis de conduire d’une durée de quatre ans et d’une probation de trois ans, avec des conditions de ne pas communiquer avec les victimes.

« Il a arrêté son camion un peu plus loin après la collision, mais est reparti. Il a menti à ses patrons et à la police. Il a organisé un plan pour quitter le pays. Il n’a pas respecté les règles de sa compagnie. Ce sont des facteurs aggravants. Par son comportement, il a augmenté le traumatisme des victimes », a argué le procureur.

De son côté, les avocats de M. Singh, MAnthony El-Haddad et MAdam Ginzburg, ont demandé une peine d’emprisonnement de sept à neuf mois.

MEl-Haddad a souligné que Singh est revenu pour faire face aux conséquences de ses actes, qu’il a un nouvel emploi, qu’il veut s’établir au Canada et qu’il « n’est pas venu ici pour les mauvaises raisons ».

« C’est un tragique accident. M. Singh n’avait l’intention de tuer ou de blesser personne cette nuit-là. Il devra vivre avec ça jusqu’à la fin de ses jours », a dit l’avocat.

À moins d’un changement, la juge Dannie Leblanc rendra sa décision le 7 octobre prochain.

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