C’est la directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec, Me Annick Murphy, qui a porté plainte contre Martin Prud’homme, il y a un an, car elle se serait sentie intimidée durant une conversation téléphonique avec le directeur général de la Sûreté du Québec, a appris La Presse de plusieurs sources.

M. Prud’homme a ensuite fait l’objet d’une enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) pour des allégations criminelles.

Il a aussitôt été relevé provisoirement de ses fonctions par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, le 6 mars 2019.

Un an plus tard, le 2 mars dernier, il a appris de la bouche d’un représentant du Secrétariat des emplois supérieurs du Québec que le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec (DPCP) ne déposerait aucune accusation contre lui.

Il a également enfin appris ce jour-là ce qu’on lui reprochait depuis un an. Il n’a jamais été interrogé par un enquêteur du BEI, et aucun enquêteur n’a communiqué avec lui depuis le moment où il a été relevé de ses fonctions et envoyé chez lui, avec traitement.

La situation est particulière. La patronne de tous les procureurs du Québec qui porte plainte contre le chef du corps de police le plus important de la province, qui supervise de plus plusieurs équipes mixtes regroupant des corps de police municipaux ; ce sont les plus hauts échelons de la justice au Québec qui sont en conflit. Ce n’est pas de nature à faciliter les relations entre la poursuite et les policiers, dont on entend souvent qu’elles sont tendues.

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Me Annick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec

Autre fait à souligner, c’est un procureur qui travaille sous la direction de Me Murphy qui a décidé de ne pas porter d’accusations contre Martin Prud’homme après avoir analysé une plainte de sa propre patronne.

M. Prud’homme n’a pas répondu à l’appel de La Presse.

Nous avons également tenté d’obtenir les commentaires de Me Murphy, qui est à la tête du DPCP depuis 2015.

« Le DPCP ne formulera aucun commentaire à la suite de votre demande », nous a répondu, par écrit, le porte-parole du DPCP, Me Jean-Pascal Boucher.

Selon nos informations, la conversation entre M. Prud’homme et Me Murphy aurait porté sur les fuites médiatiques à l’UPAC et des enquêtes sur ces fuites, conversation qui se serait envenimée.

Les raisons pour lesquelles M. Prud’homme a été relevé de ses fonctions n’auraient donc rien à voir avec une conversation qu’il aurait eue avec son beau-père et ancien commissaire à l’Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière, ou avec une éventuelle ingérence dans une enquête sur les fuites, comme le voulaient certaines informations qui ont circulé au cours de la dernière année.

Courte enquête

Lorsque les enquêteurs du BEI ont commencé à enquêter sur les allégations visant Martin Prud’homme, ils avaient déjà reçu du gouvernement le mandat d’enquêter sur les fuites médiatiques à l’UPAC. 

Ils enquêtaient notamment sur la façon dont l’UPAC et son ex-commissaire, Robert Lafrenière, avaient géré l’enquête sur les fuites du projet Mâchurer – sur le financement du Parti libéral du Québec –, à l’issue de laquelle le député de Chomedey, Guy Ouellette, a été arrêté, mais jamais accusé, en octobre 2017.

Or, selon nos informations, c’est en mai 2019, seulement deux mois après que Martin Prud’homme eut été relevé de ses fonctions, que les enquêteurs du BEI ont terminé leur enquête sur les allégations le concernant et remis leur dossier à un procureur pour que ce dernier décide si des accusations seraient portées.

D’après nos sources, le procureur a ensuite demandé des compléments d’enquête, « mais rien de significatif », nous a-t-on dit. Le dossier a été complété en octobre dernier. Entre octobre et mars 2020, il a donc fallu quatre ou cinq mois au procureur au dossier avant de conclure qu’aucune accusation ne serait portée contre M. Prud’homme, « un délai qui démontre qu’il n’y a pas eu de négligence, compte tenu de l’aspect complexe et délicat du dossier », a évalué une source au fait de l’affaire.

« La plainte a été déposée à la suite d’une conversation entre deux personnes et les enquêteurs n’ont pas jugé pertinent d’interroger l’une de ces deux personnes, on peut se poser des questions sur le sérieux de l’affaire », nous a dit une source qui n’a pas voulu être identifiée et qui n’est pas liée à l’enquête.

Processus disciplinaire

Même s’il a été blanchi au criminel, M. Prud’homme est toujours relevé de ses fonctions, car il fait l’objet d’une enquête éthique et déontologique menée par un comité de trois personnes relevant des emplois supérieurs du gouvernement du Québec.

Le comité pourrait entendre des témoins avant de rendre une décision. En tant que directeur général de la SQ, M. Prud’homme, qui a aussi été sous-ministre à la Sécurité publique, est soumis à la Loi sur la police, mais également au Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics.

Puisqu’il était le grand patron de la SQ au moment des allégations, il n’a pu être affecté à d’autres tâches ailleurs dans l’organisation et a été envoyé à la maison.

À l’issue du processus disciplinaire, dont on voudrait, au gouvernement, qu’il soit rapide, selon nos sources, Martin Prud’homme pourrait s’en tirer sans qu’on lui reproche aucun manquement. Sinon, il s’expose à une réprimande, à une suspension ou à un congédiement, selon les règlements de la fonction publique.

Mais la Loi sur la police prévoit que le directeur de la SQ ne peut être destitué que par l’Assemblée nationale, sur motion du premier ministre, avec l’approbation des deux tiers des membres, après que le ministre de la Sécurité publique a reçu un rapport écrit de la Commission de la fonction publique.

En revanche, si Martin Prud’homme s’en tire sans se voir reprocher le moindre manquement éthique ou déontologique, il pourrait théoriquement reprendre son poste à la tête de la Sûreté du Québec.

Sa grande patronne actuelle, Johanne Beausoleil, a été nommée directrice générale par intérim pour un mandat de trois ans.

L’enquête du BEI sur les fuites médiatiques à l’UPAC, baptisée Serment, qui a débuté il y a un an et demi, se poursuit. Elle roulerait toutefois au ralenti, les enquêteurs devant composer avec la difficulté de rencontrer des témoins en raison de la pandémie de la COVID-19.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Loi sur la police

56.4. Le ministre peut relever provisoirement le directeur général de ses fonctions, avec rémunération, dans le cas d’une situation urgente nécessitant une intervention rapide ou dans un cas présumé de faute grave.
2019, c. 6, a. 9.
56.5. Sous réserve d’une destitution en application d’une disposition de la présente loi, le directeur général ne peut être destitué que par l’Assemblée nationale, pour cause, sur motion du premier ministre et avec l’approbation des deux tiers de ses membres, après que le ministre a reçu un rapport écrit de la Commission de la fonction publique.