L’assistante personnelle poursuivie pour le détournement de 15 millions des comptes de la mécène Phoebe Greenberg aurait commis un geste semblable chez son employeur précédent, prétend ce dernier. La multinationale Parmalat dit avoir des raisons de croire que Sandra Testa a détourné 5,5 millions à l’époque où elle travaillait comme assistante d’un directeur d’usine à Montréal.

Ce nouvel élément de preuve inattendu a fait l’effet d’une bombe lorsqu’il a été déposé, au beau milieu du procès civil qui oppose depuis deux semaines les deux femmes. L’avocate de Phoebe Greenberg, MCara Cameron, aurait reçu depuis le début des audiences de nouvelles informations sur le passé de Sandra Testa. Elle a donc envoyé une citation à comparaître d’urgence aux avocats du géant des produits laitiers.

Ceux-ci sont venus déposer à la cour les lettres envoyées à Sandra Testa après sa démission de l’entreprise, en août 2011, après dix ans de service. Dans ces lettres, on l’accuse d’avoir approuvé de fausses factures pour lesquelles aucun service n’aurait été rendu à l’employeur. Des millions se seraient ainsi volatilisés.

Parmalat a des raisons de croire que vous étiez impliquée dans un stratagème qui a causé des pertes directes à [l’entreprise], qui sont estimées présentement à 5 468 445 $.

Extrait de l’une des lettres

Les allégations de la multinationale n’ont jamais été rendues publiques et n’ont jamais subi l’épreuve des tribunaux. Mme Testa les a niées en les qualifiant d’insultantes.

Au siège social torontois du groupe Lactalis, la maison mère de Parmalat, la directrice des communications Roopa Shah n’était pas en mesure d’expliquer jeudi pourquoi Sandra Testa n’a jamais été poursuivie dans ce dossier. « L’entreprise a pris les mesures appropriées que nous estimions nécessaires à l’époque et n’a pas la liberté d’en dire plus sur cette situation », a-t-elle déclaré.

De l’eau au moulin

Les allégations de Parmalat viennent toutefois conforter la thèse de Phoebe Greenberg, qui réclame 15 millions de dollars à son ancienne assistante personnelle.

Phoebe Greenberg est héritière et actionnaire de l’empire immobilier Minto. Sa famille était classée comme la 74fortune au Canada par le magazine Canadian Business en 2018. Avec ses fonds personnels, elle a fondé le Centre Phi et plusieurs organismes associés à Montréal qui financent de nombreux projets artistiques et emploient environ 200 personnes.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Phoebe Greenberg, philanthrope culturelle

Depuis le début du procès, Mme Greenberg affirme ne jamais avoir donné à Mme Testa l’autorisation de dépenser des fortunes pour des voyages en jets privés, des croisières en yacht, des œuvres d’art, des bijoux et des articles de luxe. Elle nie aussi avoir permis à l’assistante de faire des transferts d’argent dans ses comptes personnels et ceux de membres de son entourage.

Sandra Testa a témoigné sous serment que toutes les dépenses étaient autorisées par sa patronne.

L’enquête menée pour Mme Greenberg par la firme juricomptable MNP a révélé que plusieurs personnes avaient bénéficié des sommes dépensées par Mme Testa, notamment Carlo Farruggia, un homme lié à la mafia et aux Hells Angels, ainsi que Vanessa Purdy, dont le père et le frère sont considérés comme des membres influents du crime organisé d’origine irlandaise à Montréal.

Une montre livrée en camion blindé

Un troisième bénéficiaire est l’homme d’affaires Nabil Salaheddine, un restaurateur qui voulait que Mme Greenberg lui fasse un prêt pour lancer un nouveau projet dans le Vieux-Montréal, et qui s’est présenté avec 2,7 millions en liquide dans un sac de sport, afin de l’offrir en contrepartie, sans vouloir en révéler la source.

Mme Testa aurait entre autres acheté une montre de 80 000 $ qui devait être offerte à M. Salaheddine, avec les fonds de Mme Greenberg, selon la firme juricomptable. Le cadeau a été livré par camion blindé Brinks jusque dans une entreprise de Saint-Léonard, selon la preuve.

Impossible d’interroger un prêteur assassiné

L’enquête du juricomptable a aussi révélé que Mme Testa avait essayé d’offrir un immeuble de Mme Greenberg en garantie pour un prêt de 400 000 $ qu’elle voulait contracter en son nom personnel auprès de Mario Macri, prêteur privé de LaSalle, en 2017. Le prêt n’a finalement jamais été accordé. M. Macri n’a pas pu être questionné sur les circonstances de l’affaire dans le cadre du procès, puisqu’il a été assassiné par balles en 2018.

La preuve des deux parties au procès est maintenant close. La poursuite et la défense doivent encore présenter leurs plaidoiries, puis le juge David R. Collier prendra l’affaire en délibéré avant de rendre son jugement.