Près de deux ans après son lancement, le mouvement #moiaussi est loin de s'essouffler. En 2018, le nombre d'agressions sexuelles dénoncées aux policiers a augmenté de 15 %, selon les plus récentes données de Statistique Canada. Pour répondre à la vague, l'organisme Juripop lancera bientôt un service de conseils juridiques gratuit ouvert à toute personne vivant du harcèlement ou une agression sexuelle sur son lieu de travail au Québec.

L'organisme, qui milite pour l'accessibilité à la justice, avait d'abord tenté l'expérience dans le milieu de la culture, après les scandales provoqués par les affaires Gilbert Rozon et Éric Salvail.

En réponse à cette crise, Juripop avait créé l'Aparté, guichet unique qui fournissait des conseils juridiques aux victimes dans l'industrie.

L'initiative a connu un succès rapide et retentissant. Depuis le début des opérations, 72 dossiers ont été ouverts à l'Aparté, soit en moyenne 1,5 dossier par semaine. Parmi les requérants, on compte 56 femmes et 16 hommes. Depuis le lancement des opérations en septembre dernier, « ça fonctionne à merveille, le téléphone n'arrête pas », a dit Sophie Gagnon, directrice de Juripop, à La Presse.

Grâce à un financement de deux millions sur cinq ans de Justice Canada, le service sera étendu à tous les milieux au début de l'année 2020, dans toute la province.

« Pour nous, c'est historique. Deux millions de dollars sur cinq ans, ça nous permettra d'offrir des services partout au Québec. »

- Sophie Gagnon, avocate et directrice générale de Juripop

Son mandat : permettre aux victimes de violences et de harcèlement sexuel et psychologique au travail de parler à un avocat gratuitement.

Les cas traités à l'Aparté varient énormément. Parfois, les demandeurs ont besoin de conseils juridiques sur la meilleure manière d'agir selon leur situation. Il peut être question de harcèlement psychologique, de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle. Certains dossiers se sont soldés par une plainte à la police. « Les gens se sentent rassurés d'entendre un avocat leur dire que ce qu'ils vivent est bel et bien du harcèlement. Parfois, il s'agit d'un comportement qui peut paraître anecdotique, mais qui est désagréable et se répète chaque jour », énonce Me Gagnon.

Refléter « la diversité des cas »

Bien que le service soit actuellement destiné au milieu de la culture et du divertissement, une demande sur cinq provient déjà d'une personne d'un autre domaine. « Nous sommes contactés par des infirmières ou encore des cols bleus. On a vraiment mis le doigt sur un besoin », dit Me Gagnon.

Ceux qui ont vécu un traumatisme doivent raconter leur histoire à nouveau, à chacune des étapes du processus de dénonciation ou de guérison. « On prend le fardeau des démarches sur nos épaules pour que la personne se concentre sur une chose : se sentir mieux », affirme la directrice.

Dans le cadre de l'expansion, l'équipe se diversifiera. Comme il n'y a pas un type de victime, insiste Sophie Gagnon, il n'y a pas un seul modèle de juriste qui peut répondre aux besoins criants. « Il faut qu'on puisse compter sur un réseau d'avocats qui reflète la diversité des cas, partout dans la province », ajoute-t-elle.

Les démarches entreprises par les membres de l'Aparté vont de la simple consultation téléphonique à l'accompagnement pour une dénonciation à la police.

« Nous avons pu également désamorcer des situations de harcèlement problématique. Des personnes ont communiqué avec nous avant que la situation dégénère et nous avons pu les orienter sur la bonne façon de gérer la situation. »

- Sophie Gagnon, avocate et directrice générale de Juripop

Il n'est toutefois pas question de forcer les gens à porter plainte.

La nature des problèmes des individus qui sollicitent l'Aparté varie. Près de la moitié des requêtes concernent le harcèlement psychologique ; 27 % des gens consultent l'organisme pour des cas d'agressions sexuelles.

Le harcèlement et les violences arrivent dans tous les milieux de travail, mais sont plus présents lorsqu'il y a d'importantes asymétries de pouvoir ou des relations de travail précaires, comme pour les pigistes ou les travailleurs autonomes. « Notre défi, c'est que les personnes les plus vulnérables soient rejointes », affirme Sophie Gagnon.