Un groupe d’employés qui auraient instauré un régime de terreur dans un centre de réadaptation de Laval vient d’être congédié en bloc. En plus de maltraiter les patients vulnérables, ils auraient menacé et intimidé leurs collègues pour empêcher toute dénonciation, selon le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) local.

« On a découvert qu’il y avait une espèce d’omerta dans la résidence », a expliqué Christian Gagné, président directeur général du CISSS de Laval, en entrevue avec La Presse mardi.

Le problème concerne la résidence Louise-Vachon, une institution qui accueille 16 patients souffrant de troubles graves du comportement. Des gens incapables de fonctionner en société, qui peuvent représenter un danger pour eux-mêmes et pour les autres, et qui sont sous surveillance 24h sur 24.

Une quarantaine d’employés travaillent auprès de ces patients très particuliers. Les huit congédiements représentent donc 20 % des effectifs de l’unité. Un neuvième dossier d’employé jugé problématique est à l’étude.

Provoqués volontairement

Une enquête interne du CISSS a révélé que des patients auraient été frappés, poussés ou injuriés sans raison. Des employés auraient même volontairement tenté de les provoquer pour leur faire piquer une crise. Ce qui, pour certains d’entre eux, pouvait mener à des comportements d’extrême violence en raison de leur handicap.

« Un usager provoqué qui réagit, ça met en danger toute l’équipe », explique Philippe Lavergne, directeur adjoint aux ressources humaines pour le CISSS.

« Il y a eu maltraitance. C’est peinant, désolant, et c’est tolérance zéro pour nous », a déclaré Christian Gagné. Le PDG dit être « animé d’une certaine tristesse » depuis qu’il a découvert l’ampleur du problème.

La loi du silence

Des dénonciations anonymes avaient été faites par le passé, mais faute de preuve, il était difficile de confirmer les soupçons qui planaient sur le groupe d’employés visé. L’enquête interne a révélé que les collègues qui désapprouvaient ces pratiques étaient réduits au silence à force d’intimidation.

Pneus crevés, appels menaçants à la maison le soir, intimidation : les quelques pommes pourries dans le groupe étaient prêtes à aller loin pour empêcher les autres travailleurs de les dénoncer, selon les témoignages recueillis. Des employés en étaient réduits à manger leur lunch seuls dans leur voiture parce qu’ils avaient peur de la petite bande.

« Pour les employés qui faisaient bien leur travail, c’est une ambiance de travail qui devait être atroce », explique le directeur adjoint Lavergne.

Accusations criminelles

Trois des huit travailleurs congédiés avaient été accusés criminellement le mois dernier. Lionel Anthony Beauplan avait été accusé de voies de fait, alors que Marie Nicaisse Dameus et Patrick Jean Delly avaient été accusés de voies de fait et agression armée. Tous trois demeurent en liberté et reviendront en cour pour la suite des procédures en septembre.

Les accusations criminelles découlaient d’une enquête de la police de Laval. En parallèle, le réseau de la santé menait sa propre enquête, avec une quarantaine de rencontres d’employés de la résidence. Ce processus a mis à jour le problème beaucoup plus large qui gangrenait la résidence. Le CISSS n’écarte d’ailleurs pas la possibilité de transférer une partie de ses constats à la police pour la suite des choses.

La résidence Louise-Vachon abrite 16 patients dans l’unité des troubles graves de comportement. Huit d’entre eux auraient été victimes de mauvais traitements, selon l’enquête. « Mais j’ai demandé à ce qu’on les traite tous comme des victimes », affirme Christian Gagné.

Redresser la barre

Outre les congédiements, le CISSS a mis en place un plan d’action pour redresser la barre à la résidence Louise-Vachon : le dossier médical de chaque patient sera revu, les cadres recevront une formation spéciale, les lieux seront sécurisés davantage notamment par l’ajout d’agents d’intervention spécialisés en contrôle physique, une mesure réclamée de longue date par les syndicats.

La façon de gérer les cas lourds de troubles de comportements sera aussi revue avec l’assistance du Service québécois d’expertise en troubles graves du comportement.

Le syndicat qui représente les employés congédiés, affilié à la CSN, suit le dossier de près.

« Nous allons limiter nos commentaires, premièrement parce que notre enquête syndicale n’est pas terminée, mais aussi parce que nous sommes poursuivis par quatre de nos membres qui avaient été suspendus dans ce dossier », explique la présidente Marjolaine Aubé.

« La maison de l’horreur »

La résidence Louise-Vachon est reconnue depuis longtemps comme un milieu de travail particulièrement difficile. Depuis des années, les travailleurs de la résidence dénoncent le climat de violence généralisé envers le personnel.

En mars 2018, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) leur a reconnu un droit de refus d’intervenir auprès des patients les plus agressifs, car le danger est trop grand. Il y a un an, La Presse avait obtenu des rapports d’inspection qui faisaient état d’un événement grave lié à la violence chaque semaine pendant deux ans : un usager qui se frappe la tête de toutes ses forces contre les murs et menace d’attaquer quiconque s’approcherait, des employés pourchassés par des patients déchaînés dans les couloirs, d’autres attaqués avec une fourchette, une perceuse, des morceaux de mobilier.

« Autant pour les travailleurs que pour les bénéficiaires, c’était la maison de l’horreur », avait raconté Marjolaine Aubé en entrevue à l’époque.