Le mafieux Salvatore Scoppa tentant de fuir la mort, mais tué en plein hall d’hôtel, devant des dizaines de témoins paniqués ; un jeune homme, Éric Francis De Souza, atteint à la tête devant ses amis attablés avec lui dans un restaurant ; le chef de clan Andrew Scoppa et le motard Roger Bishop abattus dans un stationnement, victimes d’un autre tueur à gages, et de leur routine.

2019 aura été, en ce qui concerne les meurtres reliés au crime organisé, l’année où les tueurs à gages ont dépassé les bornes, affirment les responsables des divisions des crimes majeurs des principaux corps de police au Québec.

« Il faut que ça cesse, les gens qui tirent dans des endroits publics », tonne le capitaine Christian Michaud, responsable des crimes contre la personne à la Sûreté du Québec (SQ).

« Les meurtres reliés au crime organisé ont été une priorité pour nous en 2019. Nous avons enlevé de la rue des équipes de tueurs, et cela a eu un impact », renchérit son homologue des crimes majeurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le commandant Paul Verreault.

Les temps changent

Il fut une époque où un meurtre relié au crime organisé avait peu de chances d’être résolu. Mais les choses ont changé. En début d’année, le SPVM, avec l’aide de la SQ et d’autres corps de police, est parvenu à appréhender le présumé tueur à gages Frédérick Silva, après une longue cavale. Un présumé complice de Silva, Giovanni Presta fils, a aussi été arrêté.

Silva est notamment accusé de quatre meurtres, dont celui du motard Sébastien Beauchamp, tué alors que les balles pleuvaient à la très achalandée intersection des boulevards Robert et Langelier, dans l’arrondissement de Saint-Léonard, en plein après-midi du 20 décembre, et que des projectiles ont fini leur trajectoire dans des véhicules d’innocents automobilistes ou dans les étagères d’un dépanneur, ne faisant heureusement aucune victime.

Pas en reste, la SQ, avec l’aide du SPVM et d’autres corps de police, a appréhendé, dans le cadre d’une enquête baptisée Préméditer, quatre individus soupçonnés d’avoir assassiné trois membres du clan des Siciliens de la mafia montréalaise en 2016.

La SQ et le SPVM ont également annoncé cette année la création d’une équipe intégrée permanente d’enquêteurs des deux corps de police destinée à s’attaquer aux équipes de tueurs qui sévissent actuellement dans le milieu du crime organisé. 

La SQ a également fait connaître un partenariat avec la Police provinciale de l’Ontario (OPP), où des crimes violents ont eu lieu, prétendument commis dans certains cas par des suspects originaires du Québec. 

« Il faut unir nos forces. Le SPVM et la SQ ont travaillé ensemble de façon quotidienne cette année, facilitant les échanges d’effectifs et d’expertise, et améliorant la fluidité des renseignements. Et même au sein de la SQ, pour toutes les équipes spécialisées, l’Escouade nationale sur la répression du crime organisé, les crimes contre la personne, les escouades régionales mixtes, la priorité a été de s’attaquer aux meurtres commis au sein du crime organisé », décrit le capitaine Michaud.

Au moins 18 meurtres

Trois meurtres reliés au crime organisé, dont ceux de l’homme d’affaires Tony Magi en début d’année et du chef de clan Andrew Scoppa en octobre, ont été commis à Montréal cette année.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Tony Magi a été abattu le 24 janvier dernier dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal.

De son côté, la SQ revendique 15 homicides reliés au crime organisé, dont quatre survenus à Laval et dont elle a hérité, en raison des différents niveaux prévus dans la Loi sur la police.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Andrew Scoppa a été assassiné le 21 octobre dernier à Pierrefonds, à Montréal.

Fait à noter, plus de meurtres reliés au crime organisé ont été commis sur la Rive-Sud (Montréal) en 2019 que par les années passées, notamment ceux d’Éric Francis De Souza, d’Ivan Alejandro Silva et de Roger Bishop.

Quatre homicides sur 15 qui ont fait l’objet d’une enquête par la SQ ont été résolus, et aucun, pour le moment du moins, parmi les trois commis sur le territoire du SPVM. 

Dans la nuit du 1er décembre, un homme de 31 ans a été tué lorsque des individus à bord d’une voiture ont tiré à l’aveugle sur un groupe qui venait de prendra part à une fête prénatale dans l’est de Montréal. 

En octobre, trois suspects ont ouvert le feu dans un bistro du boulevard Robert, obligeant les clients à se réfugier sous les tables. 

Le SPVM relie les événements suivants aux gangs de rue et non pas au crime organisé, mais ils constituent néanmoins d’autres cas d’attaques graves commises dans des lieux publics. En réponse à ces événements d’armes à feu, la police a créé une escouade baptisée Quiétude, qui a effectué ses premières arrestations.

« On ne tolérera aucune attaque comme celles-ci dans les lieux publics », prévient le commandant Verreault. 

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 280-2777, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse

Les meurtres à Montréal en 2019 

Intrafamilial : 9
Conflit : 8
Règlement de comptes/crime organisé : 6
Vol : 1
Taux de résolution : plus de 60 %, en plus de 4 meurtres commis en 2018

Type d’arme utilisée 

Arme à feu : 10
Arme tranchante : 10
Force physique : 3
Objet contondant : 1

Sexe des victimes 

Hommes : 18 (75 %)
Femmes : 6 (25 %)

Nombre de meurtres à Montréal 

2019 : 24 (au 25 décembre)
2018 : 32
2017 : 24
2016 : 23
2015 : 30
2014 : 28
2013 : 28
2012 : 35
2011 : 35
2010 : 37
2009 : 31

En comparaison avec d’autres villes canadiennes en 2019 

Au 20 décembre 
Toronto : 68
Vancouver : 11
Ottawa : 13

Les meurtres sur le territoire de la SQ en 2019 

Intrafamilial : 20 (44 %)
Crime organisé : 15 (33 %)
Conflit : 4 (9 %)
Involontaire ou erreur sur la personne : 2 (5 %)
Vol : 1 (2 %)
Psychiatrie : 1 (2 %)
Autres : 2 (5 %)
Taux de résolution : 71 %

Type d’arme utilisée 

Arme à feu : 18 (40 %)
Arme blanche : 14 (31 %)
Force physique : 8 (18 %)
Objet contondant : 1 (2 %)
Voiture : 1 (2 %)
Drogue : 1 (2 %)
Autres : 2 (5 %)

Sexe des victimes 

Hommes : 32 (71 %)
Femmes : 13 (29 %)

L’année marquée par les meurtres de femmes et d’enfants

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le 22 octobre dernier, un homme a tué ses deux enfants de 5 et 7 ans dans la résidence familiale de la rue Curatteau, dans l’est de Montréal, avant de se suicider.

Autant sur le territoire desservi par le SPVM que sur celui desservi par la SQ, les meurtres intrafamiliaux arrivent en tête des circonstances dans lesquelles les homicides ont été commis cette année.

Six victimes sur neuf sont des femmes (ou des enfants de sexe féminin) pour les meurtres intrafamiliaux survenus sur le territoire du SPVM, et 12 sur 20 pour ceux qui se sont produits sur le territoire de la SQ.

Vingt-quatre homicides ont été commis à Montréal cette année (au 25 décembre), la tendance à la baisse enregistrée au cours des dernières années se poursuivant.

Quatre de ces 24 victimes sont des enfants de moins de 7 ans, ce qui représente une victime sur six.

Événements marquants

Le 22 octobre, un homme a tué ses deux enfants de 5 et 7 ans dans la résidence familiale de la rue Curatteau, près de l’avenue Pierre-De Coubertin, dans l’est de Montréal, avant de se suicider.

Le 10 décembre dernier, un autre père de famille a étranglé ses deux enfants de 2 et 4 ans, et la mère de ceux-ci, avant de mettre fin à ses jours en se jetant du sixième étage de l’hôpital de Joliette.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le 10 décembre dernier, un père de famille a étranglé ses deux enfants de 2 et 4 ans, et la mère de ceux-ci, à Pointe-aux-Trembles, avant de mettre fin à ses jours en se jetant du sixième étage de l’hôpital de Joliette.

« Ce sont des événements marquants qui touchent particulièrement les enquêteurs et qui les rendent très émotifs. Ils ont des enfants eux aussi. Même si les suspects sont décédés, ce sont des enquêtes qui sont longues, car on cherche à avoir des explications, pour que les proches aient des réponses. On examine aussi tout l’historique judiciaire, pour rassurer la population et tenter de faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent plus », explique le commandant des crimes majeurs du SPVM, Paul Verreault.

Ces événements sont très médiatisés et cela nous inquiète toujours, car on ne veut pas qu’il y ait un effet d’entraînement. C’est la raison pour laquelle nous invitons toute personne qui aurait des idées noires à communiquer avec les organismes d’aide.

Paul Verreault, commandant des crimes majeurs du SPVM

La fillette de Granby

De son côté, la Sûreté du Québec a eu deux cas d’infanticide sur son territoire cette année (au 20 décembre) : une femme qui a tué sa fille de 5 ans à Lac-des-Plages, dans l’Outaouais, en août, et l’affaire hautement médiatisée de « la fillette de Granby », morte dans des circonstances troublantes en avril.

PHOTO CATHERINE TRUDEAU, LA VOIX DE L’EST

Des résidants ont honoré la mémoire de « la fillette de Granby », morte dans des circonstances troublantes en avril.

De plus, en 2019, les enquêteurs des crimes majeurs de la SQ ont élucidé deux meurtres de bébés secoués survenus à Charlemagne en 2017 et à Sainte-Brigitte-de-Laval en 2018.

« Les familles doivent savoir que nos enquêteurs ne lâchent jamais prise. Ils ont élucidé une huitaine d’autres crimes non résolus cette année et je tiens à souligner leur travail », affirme le capitaine Christian Michaud, patron des crimes contre la personne de la Sûreté du Québec.

Par ailleurs, les enquêteurs de la SQ se penchent actuellement sur deux meurtres dans lesquels le suspect a voulu se suicider en fonçant avec sa voiture sur un autre véhicule, mais n’y est pas parvenu et a tué un occupant de l’autre véhicule. L’un de ces cas est survenu cette année et l’autre, l’an dernier.

Autre élément à souligner : 13 personnes ont été assassinées dans les villes de la Rive-Sud (Montréal) desservies par la SQ, soit le même nombre que dans les villes du district de Laval-Laurentides-Lanaudière. En général, dans le passé, on avait enregistré plus de meurtres dans la couronne nord.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

« Année meurtrière » dans le Grand Nord

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

À Salluit, un village d’environ 1500 habitants au Nunavik, trois personnes ont été tuées dans trois événements distincts.

La région la moins peuplée du Québec pèse de façon démesurée dans le bilan des homicides de 2019 : le Grand Nord a vécu une « année meurtrière », admet le chef de la police locale.

Neuf meurtres ont été commis dans les villages inuits au nord du 55e parallèle dans les 12 derniers mois, selon la Sûreté du Québec, une augmentation fulgurante par rapport à l’année précédente. En 2018, seulement deux morts avaient été classées comme des homicides.

Rapporté sur la population de Montréal, c’est un peu comme si 1143 victimes avaient été tuées cette année dans la métropole. Ce sont plutôt 24 meurtres qui sont effectivement survenus à Montréal, 50 fois moins.

« Je suis très inquiet de cette situation », a récemment déclaré le chef du Corps de police régional Kativik, Jean-Pierre Larose, devant des élus du gouvernement local. Ses propos ont été relayés par le Nunatsiaq News, le journal de l’Arctique.

Nous avons beaucoup de morts et nous en sommes très préoccupés. Mais vous devez comprendre que la police n’est qu’un acteur parmi d’autres dans ce dossier.

Jean-Pierre Larose, chef du Corps de police régional Kativik, dans le Nunatsiaq News

« Nous montrons à nos jeunes que ces décès […] sont la norme », a ajouté Charlie Arngak, un élu local, lors de la même réunion, toujours selon le Nunatsiaq News. « Nous montrons cela à nos jeunes et ça ne devrait pas être le cas. »

Cinq villages touchés

Le Corps de police régional Kativik patrouille dans les villages du Grand Nord, mais les dossiers d’homicides sont transmis à la Sûreté du Québec, qui a rendu public son bilan des meurtres la semaine dernière. 

Des meurtres ont été commis dans cinq villages différents du Nunavik. À Salluit, un village d’environ 1500 habitants, trois personnes ont été tuées dans trois événements distincts.

Au début de l’année, la mort violente d’une enseignante de 35 ans avait choqué la population de toute la région. Mary Mucco, 35 ans, a été tuée par balle dans le village de Kangirsuk. Son conjoint a été accusé du crime après avoir survécu à une tentative de suicide.

En tout, la police déplore plus de 10 000 « incidents criminels » dans la région pour 2019. Environ 14 000 personnes habitent au Nunavik. L’an dernier, le chef de police Jean-Pierre Larose avait exprimé sa surprise devant l’intensité et le volume des infractions criminelles dans la région en entrant en poste. 

Sur tout le territoire de la Sûreté du Québec, 22 % des victimes de meurtres étaient autochtones en 2019.