Les grands arbitres de la discipline des ordres professionnels du Québec se querellent devant les tribunaux. Une présidente de conseil de discipline qui accumule les retards pour rendre ses décisions conteste le pouvoir de sa patronne de lui retirer ses dossiers, même si elle délibère parfois depuis plus d’un an.

La présidente, Me Chantal Perreault, s’en prend à la présidente en chef du Bureau des présidents des conseils de discipline (BPCD), Me Marie-Josée Corriveau, dans une action judiciaire intentée en avril dernier en Cour supérieure du Québec. Les deux avocates font partie des 14 présidents de cet organisme créé en 2015 par Québec à la suite d’une importante réforme des conseils de discipline des ordres professionnels.

La pierre angulaire de cette réforme était la lutte contre les délais chroniques de la justice disciplinaire. Certains présidents mettaient parfois des années à rendre une décision, sans qu’on puisse leur retirer leurs dossiers. Un an après la création du Bureau, la présidente en chef expliquait à La Presse que son « rôle principal » était justement de gérer « l’enjeu des délais ».

C’est dans ce contexte que Me Corriveau a décidé de dessaisir Me Perreault de cinq dossiers en mars dernier en raison de son incapacité à rendre des décisions. La dirigeante l’avait pourtant dégagée de nouvelles affectations au cours de l’hiver pour lui permettre de se concentrer sur ses délibérés, soutient Me Corriveau dans un document déposé dans le cadre de ce litige.

En délibéré depuis plus d’un an

La présidente en chef affirme qu’à la fin de mars, Me Perreault avait toujours la charge de 12 dossiers en délibéré depuis 180 jours, dont la moitié depuis plus d’un an, bien au-delà des délais de 60 et 90 jours prévus dans la loi. Dans les six mois précédents, des représentants de nombreux ordres professionnels, dont le Bâtonnier de Montréal, avaient fait part de leurs préoccupations sur les délais à la présidente en chef, soutient-elle dans ce document.

Le Code des professions ne donne pas ce pouvoir à la présidente en chef, plaide Me Perreault. « Aucune disposition ne lui donne le pouvoir de désassigner un président qui est toujours en fonction et en délibéré », soutient-elle dans sa requête. En tant que présidente, elle conserve un droit « clair et limpide » de terminer ses délibérés, ajoute-t-elle.

La présidente exige ainsi de reprendre la charge des cinq dossiers dont elle a été dessaisie et demande au tribunal de déclarer que la présidente en chef n’a pas la « compétence juridictionnelle pour dessaisir un président en fonction ». 

Autrement, le système judiciaire disciplinaire subira un « préjudice irréparable », plaide-t-elle. Ses cinq dossiers pourraient même se conclure par des décisions « nulles », puisqu’il pourrait y avoir deux décisions « contraires » dans le même dossier.

« Il est de la plus haute importance pour notre système démocratique et la confiance du public dans l’exercice impartial et indépendant de la fonction de [Me Perreault] et de tous les autres présidents, que le tribunal que constitue le Conseil de discipline puisse agir en toute indépendance », soutient-elle dans sa requête

« Pas un droit acquis », plaide la présidente en chef

La présidente en chef rétorque dans un document d’argumentation que le Code des professions lui donne le pouvoir de « prendre les mesures visant à favoriser la célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel » et qu’ainsi, elle peut dessaisir un président d’un dossier.

« Un président d’un conseil de discipline n’a pas un droit acquis à demeurer saisi d’un dossier qui lui a été initialement assigné », ajoute-t-elle. De plus, les délais de délibéré de Me Perreault dépassent « largement » la norme fixée par le législateur d’environ deux à trois mois.

Me Perreault a été nommée en août 2015 pour un mandat de cinq ans par le Conseil des ministres, alors que la nomination de MCorriveau date de juillet 2015. Un président touche un salaire d’environ 150 000 $.

Ni Me Perreault ni Me Corriveau n’ont désiré commenter le litige en raison des procédures judiciaires en cours. L’Office des professions du Québec, dont relève le Bureau des présidents, a refusé de réagir pour la même raison.