(Montréal) La crise des surdoses ne s’estompe pas au pays et une nouvelle substance extrêmement dangereuse vient de faire son entrée sur le territoire de la métropole selon le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). L’héroïne mauve, aussi appelée « Purp » ou « Purple », consisterait en un mélange d’héroïne, d’OxyContin et de fentanyl ou de carfentanil, ce qui inquiète sérieusement les autorités.

Dans une note interne obtenue par La Presse canadienne, le SPVM confirme que son service d’analyse et de renseignement a été informé de la présence de cette drogue dure dans la grande région de Montréal.

D’après la description des policiers, la substance se présente sous forme de poudre de couleur mauve ou de « mastic de couleur mauve ».

Le SPVM a décliné notre demande d’entrevue, mais a confirmé être « bien au fait de l’existence de cette drogue » et dit demeurer vigilant. Aucune saisie n’a toutefois encore été réalisée à Montréal ni ailleurs au Québec.

Le lieutenant de la Sûreté du Québec, Hugo Fournier, reconnaît que le corps provincial est lui aussi au courant de la présence du « Purp », mais aucun cas de surdose ou de saisie n’aurait encore été rapporté. Il précise toutefois que les policiers ne sont pas toujours informés de ce qu’une victime a consommé lorsqu’ils interviennent pour prêter main-forte aux ambulanciers.

Le mois dernier, la Police provinciale de l’Ontario (OPP) a appelé la population à la prudence en raison d’une série de surdoses mortelles attribuées à de l’héroïne mauve survenues sur son territoire. Plusieurs saisies de ces substances contenant du fentanyl ou du carfentanil ont eu lieu depuis le début de l’année dans la province voisine.

Pas de surprise

Cette nouvelle n’a rien de surprenant pour les organismes communautaires qui offrent du soutien aux consommateurs de drogues. Jean-François Mary, nouvellement à la tête de CACTUS Montréal, affirme que de l’héroïne colorée a déjà circulé sur le marché local dans les dernières années.

« À la base, les héroïnes colorées contiennent toutes du fentanyl », précise celui qui était jusqu’à tout récemment directeur général de l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD).

D’après M. Mary, le meilleur moyen de réduire les surdoses serait de fournir des moyens aux consommateurs de connaître ce que contient la substance qu’ils s’apprêtent à s’injecter. Actuellement, tout ce dont disposent les intervenants, ce sont des bandelettes qui permettent de détecter la présence de fentanyl.

PHOTO PATRICK SANFACON, ARCHIVES LA PRESSE

Un site où deux hommes ont fait une surdose de fentanyl à Montréal, en 2017.

« Quand la substance est contaminée, il faut faire plus attention, mais le problème ce n’est pas la présence du fentanyl. Le problème, c’est de ne pas savoir quelle en est la quantité, soutient-il. Si on connaît la quantité, les consommateurs sont capables d’ajuster leur dose. Là, c’est comme jouer à la roulette russe. »

Et encore, pour avoir simplement accès aux fameuses bandelettes de détection, il faut que les consommateurs fréquentent les sites d’injection supervisée.

Problème d’approvisionnement

En ce qui concerne la vague d’intoxications au fentanyl, Jean-François Mary analyse la situation sous l’angle de l’économie de marché. Le trafic de stupéfiants n’est rien d’autre qu’un marché capitaliste sauvage entre les mains des groupes criminels.

Un marché qui répond tout simplement à un besoin, soit la demande des consommateurs de substances illicites. Il ajoute que c’est pour cette même raison que la répression policière est inefficace.

« Quand une source d’approvisionnement est coupée, il y a immédiatement une nouvelle source qui apparaît », observe l’expert qui y voit même un danger pour les consommateurs de drogue.

« Les opérations policières font en sorte que l’héroïne saisie qui ne contient pas de fentanyl va être remplacée par de l’héroïne qui va en contenir. La déstabilisation du marché, ça entraîne de plus grands risques pour les consommateurs », prétend-il.

Jean-François Mary avance d’ailleurs l’hypothèse que Montréal s’en tire légèrement mieux que Toronto et Vancouver en matière de surdoses liées aux opioïdes parce que le marché interlope québécois serait plus stable. Les sources d’approvisionnement seraient également différentes d’une province à l’autre, croit-il.

Causes multiples

Dans le milieu communautaire montréalais, on martèle que la crise actuelle des surdoses n’est pas qu’une affaire d’opioïdes.

« Le phénomène est beaucoup plus large que la consommation d’opioïdes en tant que telle. Il y a des surdoses liées à des stimulants ou au mélange de substances. Il y a tout un contexte qui fait augmenter les risques de surdoses », témoigne le directeur général de Dopamine, Martin Pagé.

Un avis partagé par Jean-François Mary de CACTUS qui affirme avoir lu 350 rapports du coroner liés à des décès par surdose survenus en 2017. « Avant tout, c’est un problème d’isolement social de gens qui consomment en cachette et qui n’ont pas de réseau de soutien. Ce sont des gens qui n’ont pas d’études, qui n’ont pas accès au réseau de santé ni au marché du travail », décrit-il.

Martin Pagé voudrait également que l’on cesse de mesurer l’ampleur du phénomène de crise uniquement par le nombre de décès. Selon lui, beaucoup de surdoses sont heureusement non mortelles, mais elles ont tout de même lieu et ne sont pas toujours répertoriées.

Les deux intervenants considèrent aussi le statut juridique criminel des drogues comme un puissant facteur d’ostracisme des consommateurs qui se retrouvent en rupture avec le système et plus à risque.