Revenu Québec vient d’épingler l’ex-conjointe d’un ancien haut dirigeant de SNC-Lavalin. La femme est soupçonnée d’avoir aidé son ex-mari à placer une véritable fortune à l’abri de l’impôt avant qu’il soit accusé de fraude, corruption et blanchiment d’argent, a appris La Presse.

Les employés du fisc sont entrés en action d’un seul coup la semaine dernière, et ils ont frappé fort : ils ont saisi tous les avoirs de Marie-Claude Duhamel.

Ses comptes bancaires, son Honda CR-V 2017, tous ses placements, ses REER, mais surtout, le fruit de la vente de sa maison d’Outremont, qu’elle avait vendue la veille pour 1,8 million.

Revenu Québec avait même obtenu d’un juge l’autorisation de saisir le fruit de la vente directement dans le bureau du « notaire instrumentant la vente », Me Philip Friedman, au besoin.

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Sami Bebawi, ancien vice-président principal de SNC-Lavalin, au palais de justice de Montréal, en février dernier

Marie-Claude Duhamel a vu plusieurs millions lui passer entre les mains depuis sa séparation de Sami Bebawi, ancien vice-président principal de SNC-Lavalin dont le procès pour une série d’accusations criminelles liées aux activités de la firme de génie en Libye se mettra en branle en octobre prochain.

La thèse des autorités est que la fortune de M. Bebawi provenait de ses crimes en série étalés sur des années, qui impliquaient des sommes faramineuses jamais déclarées à l’impôt et qui ont permis à Mme Duhamel de vivre dans le grand luxe.

Plusieurs immeubles cédés gracieusement

Sami Bebawi avait commencé à sentir la soupe chaude au début du mois d’avril 2012, lorsque son successeur chez SNC-Lavalin, Riadh Ben Aissa, a été arrêté en Suisse pour corruption, gestion déloyale et blanchiment d’argent. Selon ce que M. Bebawi a raconté aux autorités suisses, il a compris à ce moment que ses propres comptes bancaires suisses faisaient l’objet d’une enquête.

La pression s’est accentuée le 15 avril 2012, lorsque la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a mené sa propre perquisition au siège social de SNC-Lavalin, à Montréal. Une déclaration sous serment d’un expert de Revenu Québec déposée à la Cour supérieure la semaine dernière relate la réaction de M. Bebawi après cette perquisition.

Le 24 avril 2012, il a transféré le droit de propriété de trois immeubles à sa fiducie personnelle : une maison située avenue McDougall, à Outremont, une vaste résidence du XIXe siècle de la rue Stanley, près de l’Université McGill, et une résidence secondaire à Brownsburg-Chatham.

Deux jours plus tard, il a cessé de faire vie commune avec sa conjointe Marie-Claude Duhamel, de qui il allait divorcer par la suite.

Des ventes de 3,8 millions

Peu après, la fiducie a fait don gracieusement des trois immeubles à Mme Duhamel. Cette dernière a vendu l’immeuble de la rue Stanley pour 2 millions. Elle a fait don de la résidence secondaire à d’autres membres de la famille. Et elle a continué à habiter la maison d’Outremont jusqu’à la semaine dernière, alors qu’elle l’a vendue pour 1,8 million.

« Lesdits trois immeubles ont donc été transférés par des donations, très rapidement et sans mise en marché ou autre démarche, et ce, dès les jours qui ont suivi la connaissance par Sami Bebawi desdites arrestations et perquisitions chez le groupe SNC-Lavalin. »

— Extrait de la déclaration sous serment d’un expert de Revenu Québec

Si les manœuvres de Sami Bebawi intéressent à ce point le fisc, c’est que les enquêtes policières en Suisse et au Canada ont permis de révéler qu’il avait camouflé des revenus importants à l’impôt au fil des ans. Revenu Québec lui réclame donc 11,5 millions et l’Agence du revenu du Canada, 15 millions.

Or, la Loi sur l’administration fiscale prévoit des mesures pour empêcher un contribuable de transférer ses biens à un autre dans le but d’éviter de payer une créance fiscale. La personne qui reçoit les dons peut donc devenir solidairement responsable des dettes du donateur. C’est en vertu de ces dispositions que les biens de Marie-Claude Duhamel ont été saisis.

Rencontrée par La Presse alors que les déménageurs vidaient sa maison d’Outremont, la dame n’a pas voulu commenter la situation, si ce n’est pour souligner que son ex-mari n’avait pas encore été reconnu coupable de quoi que ce soit.

Grande malchance

Sami Bebawi avait à sa disposition d’autres fonds qui auraient pu être utilisés pour rembourser l’impôt. Il avait transféré 18,5 millions du Québec vers l’Égypte avant le dépôt des accusations criminelles à son endroit.

Mais lorsque Revenu Québec a contacté l’avocat de M. Bebawi, Me Maxime Beauregard, celui-ci a expliqué le plus sérieusement du monde que l’argent aurait malheureusement été perdu en totalité à la Bourse de Dubaï et qu’il n’en restait donc plus un sou pour rembourser le trésor public québécois, par la plus grande des malchances.