Le Montréalais Abousfian Abdelrazik a célébré son retrait de la liste antiterroriste de l'ONU lors d'une conférence de presse jeudi, en appelant à la révision des dossiers d'autres personnes qui y figurent toujours et qui seraient innocents, selon lui.

«Je dis à mes amis partout au Canada: c'est notre victoire. Mais je suis encore triste pour les personnes innocentes dont le nom est encore sur cette liste», a-t-il lancé, entouré de ses partisans, au Centre Saint-Pierre de Montréal.

L'ONU a confirmé mercredi que «le gel des avoirs, l'interdiction de voyager et l'embargo sur les armes prévus par la résolution 1989 du Conseil de sécurité de ne s'appliquent plus» à M. Abdelrazik.

«Aujourd'hui, c'est une grande victoire pour Abousfian Abdelrazik et toutes les personnes qui s'opposent à de tels régimes et de tels procédés» a déclaré Émilie Breton, du collectif Retour au bercail, qui a épaulé le Montréalais au cours de son long combat juridique.

Soupçonné d'être un agent d'Al-Qaïda, M. Abdelrazik avait été arrêté sans accusations formelles en 2003 lors d'une visite au Soudan. La Cour fédérale avait ordonné au Canada de le rapatrier après plusieurs années, mais il demeurait soumis à une foule de restrictions parce que son nom était encore sur la liste onusienne. Il ne pouvait même pas recevoir un salaire, jusqu'à hier.

«J'étais très heureux de recevoir cette nouvelle hier. Ma vie m'a été rendue», a-t-il expliqué.

«Je dis au gouvernement canadien : vous avez rendu ma vie misérable. J'espère que vous allez réaliser que vous avez affaire à une personne innocente et que vous ferez ce que vous auriez dû faire il y a longtemps», a-t-il ajouté.

M. Abdelrazik poursuit le gouvernement canadien en dommages, pour la somme de 27 millions $.

Soupçonné de longue date

En août dernier, La Presse a dévoilé le contenu d'un document secret du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS), qui disait avoir intercepté une conversation entre M. Abdelrazik et un autre Montréalais, Adil Charkaoui, dans laquelle ils parlaient de faire exploser un avion en provenance de Montréal.

Pure invention, réplique M. Abdelrazik. «Je n'ai jamais parlé à M. Charkaoui à ce sujet. Ce n'est pas vrai», a-t-il répété en conférence de presse.

Les Services secrets disaient aussi avoir le Soudanais d'origine dans leur ligne de mire depuis 1996, en raison de ses liens avec des «extrémistes sunnites d'Afrique du Nord» ainsi qu'avec Adil Charkaoui, emprisonné à l'époque en vertu d'un certificat de sécurité, et Fateh Kamel, lui aussi emprisonné à ce moment en France pour son rôle comme chef d'un trafic de faux papiers pour terroristes.

Le SCRS disait avoir découvert dans son véhicule, lors d'une fouille en octobre 2001, des traces de RDX, produit qui entre dans la composition d'explosifs. Les espions canadiens prétendaient aussi qu'il s'était rendu en Tchétchénie pour participer au djihad contre l'armée russe, qu'il avait exprimé le désir de mourir en martyr et qu'il avait rencontré un Tunisien pressenti pour participer aux attaques du 11 septembre 2001. Il se serait aussi entraîné dans un camp d'Al-Qaïda et aurait été en contact avec un lieutenant de la nébuleuse terroriste, Abou Zubeida.

Me Paul Champ, avocat d'Abdelrazik, a toutefois rappelé jeudi qu'il n'avait jamais pu voir la moindre preuve concrète contre son client. Quant à Abou Zubeida, il a été torturé, et pourrait avoir incriminé faussement des gens, ajoute-t-il.

C'est la juge canadienne Kimberly Prost qui a recommandé le retrait d'Abdelrazik de la liste, à titre d'ombudsman du comité de l'ONU sur Al-Qaida. Elle a confirmé hier qu'elle a lu le reportage de La Presse sur le rapport secret, et qu'elle en a tenu compte. Elle a aussi examiné les arguments du demandeur et toute la documentation qu'elle jugeait pertinente.

«Mon rôle était de déterminer si aujourd'hui, au moment présent, il rencontre les critères pour être sur la liste, c'est à dire, être associé à Al-Qaïda. Je n'ai pas à statuer sur le passé», a-t-elle souligné.