Les policiers ont pris leur retraite, des punks ont rasé leur mohawk, des sans-abri ont trouvé un logis, et le contestataire David Kavanaght est devenu fonctionnaire. Il en a coulé de l'eau sous les ponts depuis la nuit du 29 juillet 1996, où la police a arrêté 76 manifestants à la place Émilie-Gamelin.

Certains de ces manifestants l'ignorent peut-être, mais leur aventure nocturne vieille de presque 15 ans fait l'objet d'un recours collectif, qui est entendu depuis hier en Cour supérieure.

Piloté par l'avocat Julius Grey, ce recours vise à obtenir plus de 10 000$ en compensation pour chacune des personnes arrêtées cette nuit-là, ainsi que pour toutes celles qui ont reçu un constat d'infraction pour présence nocturne au parc Émilie-Gamelin entre le 29 juillet 1996 et le 28 juillet 1999.

À l'époque, dans le but d'enrayer les problèmes qui sévissaient la nuit dans ce carré de verdure et de béton fréquenté par les sans-abri et les marginaux, la Ville de Montréal avait décidé d'en changer la vocation.

La place Émilie-Gamelin est devenue le parc Émilie-Gamelin. Une place peut être fréquentée toute la nuit, alors qu'il est interdit de se trouver dans un parc entre minuit et 6 h. Ce changement a été fait en avril 1996. Des panneaux ont été installés, et les policiers ont passé les mois suivants à avertir les gens qui fréquentaient l'endroit.

Mécontents, des gens qui se réclamaient du groupe Foods not Bombs ont décidé de contester le nouveau règlement. Ils ont organisé ce qu'ils ont appelé un «pique-nique» dans le parc, à partir de minuit, le 29 juillet 1996. Des tracts ont été distribués, et environ 200 personnes ont répondu à l'invitation.

Une gifle

Hier, l'ex-commandant du défunt poste 33, André Lemaire, de même que Robert Richard, policier qui a passé les 32 ans et demi de sa carrière à ce poste du centre-ville, ont raconté comment l'affaire s'était déroulée cette nuit-là.

Alertés par les tracts, les policiers étaient aux aguets et prêts à intervenir, mais ils ont laissé faire les manifestants pendant plusieurs heures. À un certain moment, ceux-ci ont allumé un feu pour se réchauffer. Comme le feu était petit, les policiers ne sont pas intervenus. Mais, au milieu de la nuit, des manifestants sont allés chercher des barrières de construction aux alentours pour alimenter le feu, qui s'est mis à grossir. Les policiers sont alors intervenus.

En voyant les policiers arriver, les manifestants sont partis et sont allés marcher dans les rues alentour. Mais, malgré les avertissements, ils sont revenus. À 4h45, environ 80 personnes étaient de retour dans le parc. Une cinquantaine de policiers ont sévi. Les manifestants se sont laissé arrêter docilement, selon les policiers. «Sauf une, qui s'est levée et s'est mise à crier pour faire lever les autres», a précisé l'ex-agent Richard, hier, dans un témoignage qui illustre l'adage «autres temps, autres moeurs.»

«Je l'ai giflée en plein visage», a dit M. Richard avant d'ajouter: «Elle a été chanceuse qu'on ne lui mette pas une entrave.»

Quoi qu'il en soit, les manifestants ont été emmenés au poste et ont reçu des contraventions pour avoir enfreint le règlement municipal. Certains ont payé, d'autres ont laissé faire, et d'autres encore ont contesté et ont perdu leur cause. C'est le cas d'Alexandre Popovic, aujourd'hui porte-parole de la CRAP (Coalition contre la répression et les abus policiers). Mais un groupe de huit personnes, dont David Kavanaght, représenté par un avocat, a gagné sa cause en raison d'une erreur technique de la Ville de Montréal. Le règlement d'urbanisme n'ayant pas été modifié, il s'agissait toujours d'une place, et non d'un parc, avait conclu le juge Gérard Duguay.

Cet acquittement a engendré l'idée d'un recours collectif, dont M. Kavanaght est le représentant désigné. Le recours reproche à la Ville d'avoir commis un abus de pouvoir et à la police d'avoir fait preuve de harcèlement et de discrimination. Il soutient enfin que les contraventions sont illégales.