Vouloir avoir raison à tout prix a un prix. Mais cela n'arrête pas Claude Côté, chercheur en biologie à la retraite qui, pour une peccadille survenue il y a huit ans dans le métro, a envoyé des milliers de courriels et de télécopies revendicateurs à la STM et à la Ville de Montréal. Cette avalanche de correspondance lui a valu une condamnation pour harcèlement criminel, récemment.

Le 17 décembre, M. Côté a été condamné à une peine avec sursis et une probation de trois ans, comme le recommandait la procureure de la Couronne, Sylvie Lemieux. L'homme de 68 ans, qui s'est défendu seul sans avocat durant tout son procès devant jury, ne capitule pas. Il interjette appel. Mais même dans l'état actuel des choses, M. Côté se voit presque comme un gagnant, puisque le jury l'a acquitté de cinq des six accusations de harcèlement qui pesaient contre lui. Le verdict a conforté M. Côté. «Après que le jury a rendu son verdict, je n'entendais plus rien, j'étais dans ma bulle. Pensez-y, je ne connais rien là-dedans (le judiciaire.) J'étais seul contre une grosse machine et j'ai réussi à me faire acquitter de cinq des six accusations», a-t-il confié avec fierté lorsque La Presse l'a rencontré, au palais de justice de Montréal.

Pas d'erreur

Méthodique, travaillant et acharné, M. Côté se qualifie lui-même de «rat de laboratoire» et de contestataire dans l'âme, résultat de ses études dans des universités américaines dans les années 60. Dans le rapport avant sentence qui a été établi à son sujet, on le décrit comme un homme intelligent, passionné par le travail (peut-être trop), qui présente des traits narcissiques et obsessionnels. Il tolère difficilement être l'objet d'une méprise ou d'une erreur, signale-t-on. Sa guerre contre la STM provient de son refus de se plier, sinon à un règlement, du moins à une manière de faire.

En 2002, M. Côté achetait sa carte mensuelle (CAM), qu'il plaçait dans un étui de plastique. Quand il prenait le métro, il préférait montrer sa CAM au changeur, plutôt que de la sortir de l'étui et la glisser dans le lecteur magnétique. Cela agaçait souverainement un certain changeur du métro Papineau, qui bloquait le tourniquet et faisait signe à M. Côté de passer sa carte dans le lecteur. Ce dernier refusait, persistait à montrer sa carte et réussissait à se faufiler quand même dans le tourniquet. Le 3 décembre 2002, deux agents, qui avaient manifestement été prévenus, l'ont intercepté. M. Côté leur a montré sa carte, qui était valide, et a «exigé» qu'on lui remette une contravention si ce qu'il faisait était mal. Son désir a été exaucé. On lui en a collé une, pour non-paiement de son passage.

M. Côté était fort aise. Il pensait bien faire annuler cette contravention en cour municipale, puisque sa CAM était valide. Mais, surprise, il a perdu sa cause. Il a porté sa cause en appel à la Cour supérieure, où il a perdu aussi, puis à la Cour d'appel, qui a refusé de l'entendre. Les juges ont estimé qu'il faisait perdre le précieux temps de la Cour.

Courriels et télécopies

Par la suite, de 2005 à 2009, s'estimant victime d'une injustice, M. Côté a envoyé des télécopies et des courriels en quantité industrielle, dans lesquels il vilipendait les administrations publiques de la STM et de la Ville. Les six victimes alléguées dans l'acte d'accusation étaient les employées de ces organismes qui recevaient cette volumineuse correspondance. La plupart d'entre elles semblaient plus excédées qu'effrayées. Au terme d'un procès de presque un mois, le jury a estimé que le harcèlement criminel s'appliquait dans le cas de l'une d'elles, mais pas dans les autres.

M. Côté estime qu'il avait le droit de s'exprimer et considère que les services auraient pu bloquer ses envois s'ils avaient voulu le faire, ou demander une injonction, à laquelle il se serait plié puisqu'il respecte la loi. Celui qui apparaît comme un Don Quichotte des temps modernes se considère lui-même comme une victime dans cette affaire.

Sa fille assassinée

M. Côté ne semble avoir l'appui ni de sa femme ni de son fils dans sa croisade. Il faut dire que celle-ci paraît futile comparée au drame qui afflige la famille depuis 19 ans. Le 13 octobre 1991, Marie-Claude Côté, 17 ans, seule autre enfant du couple, est disparue mystérieusement du bar Le Barina, à Côte-Saint-Paul, où elle était allée danser avec une amie. Un de ses souliers et du sang ont été trouvés dans le stationnement du bar. Un mois plus tard, le cadavre de la jeune élève du collège Jean-de-Brébeuf a été repêché des eaux du fleuve. Son meurtrier n'a jamais été arrêté.

M. Côté se braque quand on évoque ce cruel épisode de sa vie. Il n'en a pas fait mention pendant ses processus judiciaires et ne semble pas en avoir parlé non plus à l'agent de probation qui a réalisé le rapport avant sentence, puisqu'il n'en est question nulle part. «Je ne veux pas me servir de la mémoire de ma fille pour me faire du capital de sympathie», tranche M. Côté, d'un ton qui, lui, est sans appel.