Présentée par le gouvernement Charest en 2004 comme «un bel exemple de partenariat public-privé», la réfection de l'église Saint-James a viré cette semaine à l'affrontement judiciaire.

L'entrepreneur Paul Sauvé, qui affirme avoir assumé la plus grande part des dépassements de coûts évalués à 4,7 millions, a envoyé mercredi matin une mise en demeure assortie d'une poursuite de 3 millions qui vise principalement le gouvernement du Québec, a appris La Presse.

«Les entreprises qui veulent embarquer dans un PPP avec ce gouvernement, watchez-vous! dit M. Sauvé. Ç'a été un fiasco quasiment mortel pour nous, une erreur financière énorme, fatale. C'est un message envoyé à tous les entrepreneurs.»

L'entrepreneur affirme se «faire niaiser» depuis un an et demi, alors qu'il tente de récupérer auprès de Québec une partie des dépassements de coûts. «Je suis profondément blessé de me faire ignorer comme ça par ce gouvernement», précise-t-il. Il se dit conscient que sa sortie survient en pleine campagne électorale, et souhaite ainsi mettre de la pression sur les élus.

Évaluée à l'origine à 5,2 millions, la réfection de l'église Saint-James s'est heurtée à une foule d'obstacles imprévus qui ont rapidement fait grimper la facture à 9,9 millions, selon une étude d'Ernst&Young datant de 2007. L'ambitieux projet, approuvé par le gouvernement Landry quelques jours avant sa défaite en avril 2003 et confirmé ensuite par les libéraux, consistait à dégager le superbe édifice de sa ceinture de commerces pour le rendre entièrement visible de la rue Sainte-Catherine. Des subventions de 3,4 millions de Québec et 445 000$ de Montréal étaient garanties.

L'église Saint-James a fait appel à L.M. Sauvé, un consortium mis sur pied par Paul Sauvé, pour lancer les travaux. Il assumait la moitié de la facture et, en échange, obtenait un bail de 60 ans sur les locaux commerciaux restants sur les côtés de l'église.

En février 2004, le ministre des Affaires municipales Jean-Marc Fournier saluait par le biais d'un communiqué ce «bel exemple de partenariat public-privé», «une intervention directe sur le tissu urbain de tout ce secteur qui saura plaire» aux Montréalais.

Surprises et faillites

Les mauvaises surprises ont commencé dès l'arrivée des ouvriers sur le site de l'église, en janvier 2005. Il a fallu démolir plus d'espaces commerciaux que prévu et décontaminer le sol, où on avait détecté de l'amiante et trouvé deux réservoirs d'huile contaminée. On a découvert cinq tunnels et des passages imprévus dans le sol. Il a fallu retarder les travaux, remblayer puis modifier les fondations des immeubles, peut-on lire dans le projet de poursuite. Le retrait du projet en cours de route de la Banque Nationale, qui a engendré de nouveaux retards, est évalué à lui seul à 2,9 millions.

L'argent obtenu des gouvernements était depuis longtemps épuisé, les factures des sous-traitants ont commencé à s'entasser. Certains ont été acculés à la faillite. La rénovation a tout de même été officiellement achevée en octobre 2006. Les appels à des contributions gouvernementales supplémentaires ont été lancés en vain. En difficultés financières, l'entrepreneur a cédé au rabais en 2007 les droits d'exploitation des commerces autour de l'église, une perte qu'il évalue à 3,6 millions. L'église a dû vider sa réserve de 500 000$. En mai de cette année-là, L.M. Sauvé a signé une entente avec ses 275 créanciers. L'entreprise s'est remise en selle par la suite en signant d'importants contrats, notamment avec La Baie, l'hôtel de ville de Montréal et le nouveau propriétaire de l'édifice de The Gazette.

Dans Le Devoir du 25 janvier 2007, le gouvernement expliquait que la restauration n'était pas considérée comme un PPP. «Le gouvernement a versé une subvention avec la corporation qui gère l'église, et non avec L.M. Sauvé», avait expliqué à l'époque l'attaché de presse de la ministre Normandeau, Jonathan Trudeau.

Dans la poursuite envoyée mercredi, l'homme d'affaires estime que le gouvernement du Québec, identifié comme le principal responsable, a profité d'un «enrichissement injustifié». En n'investissant que 3,4 millions dans un projet de 9,9 millions qui a remis en valeur un monument classé, le patrimoine québécois s'est enrichi, tandis que L.M. Sauvé s'est appauvrie, plaide-t-on. La mise en demeure donne au Procureur jusqu'au 4 décembre pour entamer des «négociations sérieuses» pour régler le dossier. Sinon, la poursuite sera déposée devant le tribunal.

Les responsables de l'église Saint-James ne nous ont pas rappelés. Au ministère des Affaires municipales et des Régions, on était toujours hier dans l'impossibilité de commenter cette menace de poursuite.