(Dundee) Pandémie oblige, la frontière entre le Canada et les États-Unis est quasi fermée depuis mars 2020. Le Québécois Paul-Maurice Patenaude fait exception : sa maison est littéralement à cheval sur les deux pays. Et depuis un an, son petit dépôt de colis transfrontalier ne désemplit pas.

« Je suis à la fois au Québec et dans l’État de New York, regardez si c’est beau ! », s’amuse ce retraité de 82 ans, un pied de chaque côté de la ligne noire qui matérialise la frontière au rez-de-chaussée de la bâtisse bicentenaire où il vit depuis 70 ans.

Dans son « dépôt-cueillette », des dizaines de paquets attendent leurs propriétaires sur des étagères ajourées.

PHOTO ERIC THOMAS, AGENCE FRANCE PRESSE

À la faveur d’un traité entre les deux voisins, sa maison est devenue en 1842 l’une des rares au Canada à être coupée en deux par la frontière. Et elle est aujourd’hui la seule à abriter une telle activité, selon lui.

L’imposant bâtiment de trois niveaux, qui abrita un bar jusqu’en 1991, a deux adresses et donc deux entrées : l’une au sud, dans l’État de New York, où arrivent les colis livrés par Fedex ou UPS. L’autre au nord, à Dundee, bourgade québécoise de 421 âmes où les clients canadiens viennent récupérer leurs biens.

« Placé comme moi, entre deux douanes, je suis pas mal certain que c’est unique », relève M. Patenaude en faisant visiter les lieux à l’AFP, appuyé sur son déambulateur.

PHOTO ERIC THOMAS, AGENCE FRANCE PRESSE

« Placé comme moi, entre deux douanes, je suis pas mal certain que c’est unique », relève M. Patenaude en faisant visiter les lieux à l’AFP, appuyé sur son déambulateur.

À la faveur d’un traité entre les deux voisins, sa maison est devenue en 1842 l’une des rares au Canada à être coupée en deux par la frontière. Et elle est aujourd’hui la seule à abriter une telle activité, selon lui.

Le principe est simple : les colis sont livrés par la porte américaine, c’est M. Patenaude qui leur fait « passer la frontière ». Les clients canadiens les récupèrent côté Québec puis font un crochet par la douane du Canada, qui jouxte la maison, afin d’y payer les taxes.

En ne franchissant jamais la ligne noire, ils échappent à la quatorzaine imposée aux touristes en provenance des États-Unis depuis que la frontière terrestre a été fermée aux déplacements « non essentiels » en mars 2020.

Ils évitent également les frais de livraison au Canada, parfois plus chers que les colis eux-mêmes. « Et puis certains produits ne sont pas livrés au Canada, faut une adresse américaine », note l’octogénaire.

Sa petite entreprise, créée il y a une dizaine d’années sur les conseils d’un ami, comptait un millier de clients réguliers avant que n’éclate la pandémie.

« Depuis un an, j’ai eu 1800 clients en plus, on a presque triplé » notre activité, relève M. Patenaude, ancien maire de Dundee.  

Le dépôt, enregistré aux États-Unis sous le nom de Half Way House Freight Forwarding (littéralement, maison à mi-chemin de transit de fret), est géré par ses trois enfants, dit-il : deux vivent aux États-Unis, le troisième au Québec. Le père habite les étages supérieurs et descend donner un coup de main cinq jours par semaine.

Question de vie ou de mort

La plupart des clients eux viennent du Québec et de la province voisine de l’Ontario.  

Richard Lachance arrive de l’ouest de Montréal, à une heure de route. Il vient récupérer des chaussures de football commandées pour son fils et ses copains.

« J’ai une boîte postale à Plattsburgh, mais avec la COVID-19, on ne peut pas traverser les frontières », explique-t-il.

En passant par la « maison à mi-chemin », il estime avoir économisé environ 200 dollars américains.

M. Patenaude, lui, facture ses services à des tarifs modiques : entre deux et 10 dollars canadiens le colis en moyenne. Cela varie en fonction de la taille, du poids « et surtout de mes humeurs », lâche-t-il dans un grand sourire.

Mais l’afflux récent de nouveaux clients, loin de le réjouir, l’a un peu « déboussolé », au point qu’il a « failli tout arrêter ».

Avant de se raviser.  

« Pour certains c’est quasiment une question de vie ou de mort, j’ai des personnes qui sont malades, qui ont besoin de médicaments, de produits qu’ils ne peuvent pas avoir au Canada », dit-il. « Ce service-là donne satisfaction à des milliers de personnes, alors je me suis dit : peut-être qu’il va falloir que l’on continue un peu ».

Malgré tout, M. Patenaude rêve de voir la frontière rouvrir rapidement, pour retrouver un rythme plus tranquille, et aller plus souvent à la pêche avec son fils.

« Si tu penses que je souhaite qu’elle reste fermée pour augmenter ma clientèle, jamais, jamais ! C’est le moindre de mes désirs », jure-t-il.