(Champs-sur-Marne) C’est une tradition qui dure depuis des siècles, voire plus d’un millénaire. Aujourd’hui, l’origami, l’art japonais du pliage de papier, apprend à de futurs ingénieurs à « orienter la matière » pour réfléchir aux bâtiments qu’ils construiront un jour.

« L’utilisation des origamis dans la construction des bâtiments […] est très ancienne », explique à l’AFP Arthur Lebée, chercheur au laboratoire Navier, lié à l’École des Ponts Paristech. Il la relie à l’école allemande du Bauhaus au début du XXe siècle.

Au sein de l’annuaire de l’établissement, ex-école des Ponts et Chaussées et prestigieuse formation d’ingénieurs, M. Lebée est associé à des thématiques classiques : mécanique, construction… Ses recherches sont plus originales : il travaille sur « les sciences de l’origami ».

L’art de l’origami vise à créer des formes variées en pliant sans déchirer une feuille de papier. Il est difficile d’établir où et quand il est né - Chine ou Japon s’en disputent la paternité et certaines sources le font remonter à des usages religieux du Moyen-Âge -, mais les premiers ouvrages à l’avoir formalisé sont japonais et datent d’environ trois siècles.

Depuis plusieurs décennies émerge un volet scientifique. Plusieurs conférences internationales réunissent des chercheurs du monde entier et de multiples disciplines.

« Cela combine un aspect ludique avec des mathématiques fondamentales, de la mécanique… plein de disciplines différentes », résume M. Lebée.

Lui-même anime des enseignements qui s’inscrivent dans un double cursus d’architecte et d’ingénieur afin de relier deux métiers souvent dissociés dans la naissance d’un bâtiment : l’un compose et l’autre rend faisable.

« Pourquoi on construit ? Pas juste pour que ce soit le plus résistant possible : il faut que cela rende le meilleur service à la personne qui habite », estime M. Lebée. « Un ingénieur doit être sensible à ça et l’architecte doit être sensible à la réalité physique. »

« Les origamis ont une place tout à fait intéressante pour faire ce lien », poursuit-il.

En première année, M. Lebée anime généralement un atelier de construction d’abris en origami - il envisage de passer prochainement aux ponts en cartons.

L’idée est d’éveiller les étudiants à de nouvelles formes. Plus tard dans le cursus, le chercheur donne un cours plus théorique sur les liens entre « plis et structures ».

« Je ne sais pas s’il y a d’autres enseignements de ce type : il y en a plutôt en école d’architecture », avance-t-il. « Par contre, la compréhension de la modélisation mécanique et du fonctionnement structurel des origamis, je pense que c’est une spécificité de l’École. »

« Jamais » une cocotte

L’éventail de ces cours illustre les leçons multiples de l’origami pour la construction : de manière évidente, il apprend à générer du volume à partir d’une surface plane. Via certaines techniques, il permet aussi de créer l’équivalent d’une paroi courbe en n’usant que de pliages rectilignes.

Reste que « le contresens basique, c’est dire : “le pliage, c’est génial, je veux faire un bâtiment, donc je vais plier un bâtiment” », prévient M. Lebée. « C’est quelque chose qui est naïf. Ça n’arrive pratiquement jamais qu’un bâtiment soit une cocotte. »

Quelques rares exemples obéissent à des objectifs spécifiques. À l’université américaine de Notre Dame, dans l’Indiana, une chercheuse, Ashley Thrall, travaille depuis quelques années sur des structures destinées à servir d’abris militaires.

En général, l’origami « n’est pas une structure au sens de l’ingénieur : un objet qui peut supporter des charges [et] qui ne va pas se déformer tout seul », explique M. Lebée, pour qui l’enjeu des cours est de « comprendre le fonctionnement mécanique » des pliages.

Une idée est centrale : améliorer la résistance d’une structure en changeant sa forme et non en lui ajoutant des matériaux plus solides.

« Vous prenez une feuille de papier : si je la pince un petit peu, elle arrive à s’autoporter et à tenir horizontalement. En imposant une toute petite courbure, on obtient un objet beaucoup plus rigide », illustre M. Lebée. « Cela veut dire orienter la matière pour qu’elle travaille de la manière la plus efficace possible. »

Avant de s’orienter vers la recherche, l’enseignant a d’ailleurs envisagé de créer une entreprise à partir d’un brevet de panneau de construction à la résistance accrue par un remplissage en origami.  

« Je faisais de l’origami depuis toujours : c’est clairement ma personnalité », conclut-il. « Il y a une affaire de goût et d’esthétique. »