Mercredi matin dernier, la directrice par intérim du SPVM, Sophie Roy, l’un de ses directeurs adjoints, Vincent Richer, et un ancien assistant-directeur, Jean-Ernest Célestin, se sont présentés dans un hôtel du Vieux-Montréal pour l’entrevue la plus importante de leur carrière : celle qui aurait pu leur permettre de devenir la directrice ou le directeur du deuxième service de police en importance du Québec.

Ils ont passé des heures à se préparer, prenant des congés et même des semaines de vacances pour être prêts à répondre à toutes les questions des membres du comité de sélection. Croyant en leurs chances, certains auraient même eu recours à un consultant pour ne pas rater leur coup.

Selon nos informations, au total, 10 candidats ont postulé au concours de directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Mais tous ceux et celles qui n’avaient pas l’équivalent d’un grade de directeur ou de directeur adjoint dans un corps de police de niveau élevé ont été écartés d’emblée.

Roy, Richer et Célestin étaient au plus fort de la course, mais dans la semaine ayant précédé l’entrevue, des informations contradictoires ont circulé sur le nombre de postulants, et l’ombre d’un quatrième candidat, venant de l’extérieur, a commencé à planer.

Les trois candidats affichés ont commencé à être habités par le doute lorsqu’ils se sont croisés pour l’entrevue mercredi matin et ont appris qu’effectivement, un quatrième et dernier candidat mystère — que certains croyaient être une femme — avait aussi été convoqué, mais dans l’après-midi.

Ces candidats ont alors commencé à faire des liens. La Ville de Montréal avait déjà convoqué la population et les médias à la présentation du nouveau chef de police la veille des entrevues. 

Comment un chef qui n’a même pas encore été rencontré par le comité de sélection pourrait-il être en mesure de présenter publiquement sa vision dès le lendemain, s’il était choisi ?

En fin d’après-midi, mercredi, tour à tour, les candidats Roy, Richer et Célestin ont reçu un appel d’un employé du service des ressources humaines de la Ville de Montréal leur annonçant qu’ils n’avaient pas été choisis.

Lorsque Sophie Roy l’a appris, elle aurait appelé Vincent Richer pour lui offrir l’intérim tellement elle était certaine que c’est lui qui avait obtenu le trône de fer.

À la grande surprise de Mme Roy, il a avisé cette dernière que lui aussi avait été écarté.

À 18 h 02, Pascal Robidas, de Radio-Canada, a annoncé que le nouveau chef du SPVM, ce fameux quatrième candidat mystère, était Fady Dagher, directeur du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), qui avait auparavant œuvré durant 25 ans pour le SPVM.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Fady Dagher en conférence de presse avec la mairesse Valérie Plante jeudi

Les entrevues ont été réalisées de façon très professionnelle, nous a-t-on dit. Mais en faisant un plus un, des candidats et leur entourage se questionnent et pensent que le choix avait été arrêté sur M. Dagher depuis un bout de temps.

Ils croient que les dés étaient pipés et le processus, bidon.

Invité à présenter sa vision

Le poste de directeur du SPVM a été affiché par la Ville de Montréal durant 22 jours, du jeudi 13 octobre au vendredi 4 novembre, à 23 h 59.

Le matin du 2 novembre, Fady Dagher, en entrevue avec Paul Arcand au 98,5 FM, a déclaré qu’il ne déposerait pas sa candidature au poste de directeur du SPVM. Mais quand le redoutable animateur lui a demandé : « Mais si on vient vous chercher ? », Fady Dagher a répondu qu’il n’irait pas dans les hypothèses, tout en ayant visiblement hâte de changer de sujet.

Vendredi matin, encore chez Paul Arcand, il a levé un peu le voile sur son arrivée à la tête du SPVM. Il a raconté que l’été dernier, Martin Prud’homme, nouveau directeur adjoint à la Sécurité publique à la Ville de Montréal, l’avait appelé « pour qu’il lui explique son approche à Longueuil ».

Puis Fady Dagher a ajouté que durant « l’avancement du processus de nomination du directeur du SPVM » — on ne sait pas exactement quand —, Martin Prud’homme l’a appelé pour qu’il postule.

M. Dagher a refusé, mais Martin Prud’homme a persévéré, lui demandant de « venir expliquer son approche ».

Fady Dagher a indiqué à Paul Arcand que le 2 novembre, il avait déjà été invité à venir faire un exposé au comité, mais que c’est durant l’entrevue qu’il a senti que le courant passait.

Pas le seul

M. Dagher n’est pas le seul directeur de police à avoir reçu un appel de Martin Prud’homme dans cette course à la direction : Pierre Brochet, chef du Service de police de Laval, aurait aussi été courtisé. M. Brochet aurait décidé d’embarquer dans le processus, avant de changer d’idée.

En entrevue avec La Presse, M. Prud’homme n’a pas voulu confirmer l’invitation faite à Pierre Brochet, mais il nous a dit avoir « eu des discussions avec beaucoup de monde » du milieu policier à partir du moment où il est arrivé en poste, au printemps dernier.

Il dit avoir invité M. Dagher après le lancement du concours, le 13 octobre, à présenter sa vision lors de l’entrevue, et que le directeur du SPAL a déposé son curriculum vitæ.

Martin Prud’homme affirme qu’il est normal que pour un tel poste, des personnes qualifiées soient sollicitées.

Il rejette les rumeurs voulant qu’il ait contacté des gens parce que la Ville était insatisfaite des candidatures reçues ou que l’on voulait privilégier un candidat de l’extérieur.

Il explique qu’avant le 13 octobre, il ne pouvait pas savoir qui avait postulé et que souvent, les candidats attendent à la dernière minute, dans ce cas-ci le 4 novembre, pour se manifester.

« Nous avions quatre bons candidats qui auraient pu avoir le poste, mais Fady Dagher a eu la meilleure performance durant l’entrevue et le choix a été unanime », dit M. Prud’homme.

Ce dernier et la Ville ont donc opté pour celui qu’ils croient être le meilleur candidat, et des lecteurs penseront sûrement que, de toute façon, les processus de nomination fonctionnent ainsi dans bien des organisations, privées ou publiques.

À la fin de son mandat d’un an en tant qu’administrateur provisoire du SPVM, Martin Prud’homme a publié un rapport final en octobre 2018.

Dans ce rapport, au sujet du processus de promotion et de nomination des cadres, il est écrit qu’ont été mis en place « des mécanismes permettant d’assurer l’équité et la transparence du processus, et de maintenir la confiance des cadres ».

Cela ne semble pas avoir été le cas pour au moins trois candidats déçus.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.