Les maisons de jeunes à Montréal sont de véritables refuges pour les ados qui viennent socialiser, discuter et se confier. La Presse a passé une soirée au centre communautaire Jeunesse unie de Parc-Extension, un endroit qui a marqué le quotidien des jeunes du quartier.

Jeudi soir. Fidèles à leur habitude, Nandini Gupta et Ojaswani Singh jasent du look de Hailey Bieber et du désopilant nouveau filtre Snapchat entre deux parties de ping-pong.

Les deux adolescentes de 16 et 17 ans ne vont ni au parc ni chez elles au moment de quitter l’école secondaire Lucien-Pagé. C’est au centre communautaire Jeunesse unie de Parc-Extension qu’elles se retrouvent à la fin des classes pour faire leurs devoirs, dévorer une collation, se confier à un adulte… et potiner.

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Nandini Gupta

Je viens vraiment chaque jour. C’est mon safe space.

Nandini, avec un grand sourire

Sa meilleure copine, affalée sur le confortable fauteuil, du henné sur les mains, acquiesce d’un signe de tête.

Leur conversation est interrompue par une musique rap qui résonne. Les murs aux couleurs vives sont recouverts de slogans, de peintures et d’affiches qui rappellent de prendre soin de sa santé mentale.

Depuis plus de 20 ans, le centre Jeunesse unie à Parc-Extension se démarque auprès des adolescents du quartier. Les jeunes occupants sont encadrés tout au long de leur parcours.

Prendre racine

Si les jeunes sont attachés au centre, c’est qu’il y a parfois le syndrome du jeune de deuxième génération dans ce secteur peuplé de nouveaux arrivants. « Un clash culturel avec les parents. Ils savent qu’ils peuvent nous parler de tout », explique l’intervenant jeunesse Marco Gauthier.

Plusieurs y ont pris racine.

Jeudi soir, on discute d’ailleurs de rap québécois dans des phrases où s’entremêlent l’arabe, le français, l’anglais et le pendjabi.

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Ojaswani Singh et Nandini Gupta

« On peut parler de tout, de nos problèmes. Personne ne nous juge ici. Il y a des choses dont je ne parlerai pas à la maison, mais ici ça ne me dérange pas », explique Ojaswani.

Ses parents ont l’esprit en paix. « Ils savent que je ne traîne pas au parc. Ils connaissent les intervenants. »

Quelques semaines auparavant, au parc Saint-Roch près de chez elle, la jeune fille a vu son ami se faire poignarder. « Un groupe de jeunes voulait lui voler ses Jordan », raconte-t-elle.

Elle était avec ses frères et ses amis. « Ils sont venus parler à mon ami, ont commencé à le battre puis ont sorti un couteau. »

Au parc, dans la cour d’école et — surtout — sur les réseaux sociaux, certains jeunes sont témoins de transactions de drogue, d’armes à feu et de conflits violents, ajoute M. Gauthier. Avoir un endroit où aller pour « déballer leur sac » sans qu’il y ait de tabous les sécurise.

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L’intervenant Marco Gauthier discute avec deux jeunes au centre communautaire Jeunesse unie de Parc-Extension.

Des jeunes nous ont même dit : “Sans vous, ça aurait pu mal tourner.”

Marco Gauthier, intervenant au centre Jeunesse unie

Stabilité

Marco Gauthier fait presque partie des meubles. Il est intervenant à la maison des jeunes depuis 23 ans. « J’en ai vu passer. C’est un secteur où tout le monde se mélange, il y a beaucoup de nouveaux arrivants. »

La clé du succès du centre ? Le faible roulement de personnel.

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L’intervenant Yacine et un jeune

« Mais pour garder notre monde, on a besoin de bons salaires. Et pour les offrir, il faut investir. C’est de ça qu’on parle quand on demande aux gens d’investir dans la prévention. Ce ne sont pas des paroles en l’air. » Yacine, un intervenant qui a fréquenté le centre dans sa jeunesse, a choisi d’y travailler. Après neuf ans, il ne gagne même pas 20 $ l’heure.

L’aide aux devoirs et la prévention du décrochage scolaire sont privilégiées. « Si tu réussis l’école, tu as de meilleures chances de ne pas faire des choix lourds de conséquences. Tu as de l’espoir pour ton avenir », poursuit Marco Gauthier. Il a pu engager huit accompagnateurs pour une vingtaine d’élèves grâce au budget offert dans le cadre de la stratégie jeunesse en prévention de la criminalité de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension.

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Aide aux devoirs au centre Jeunesse unie de Parc-Extension

Miser sur l’école

Le jeune Azaël Andog-Naba, grand ado souriant à la voix forte et au riche vocabulaire, s’attendrit quand on lui demande ce que la maison des jeunes lui a apporté. « C’était une échappatoire. J’y ai rencontré mes meilleurs amis. »

C’était plus difficile pour lui d’aller à l’école vers la fin de son secondaire. « J’avais plus vraiment la motivation. »

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Azaël Andog-Naba

Sa mère, seule, est venue du Burkina Faso quand Azaël était petit. Ses grands frères les ont rejoints dans le cadre de leurs études universitaires. « Je sens qu’on est issus de milieux différents. C’est difficile de leur dire que des fois, je n’ai pas envie d’y aller [à l’école]. »

Il se lie d’amitié avec un éducateur de Jeunesse unie, Yacine. « Il est passé par où je suis passé. Il fréquentait la maison de jeunes. »

Les élèves en difficulté scolaire vont davantage faire de mauvais choix à l’extérieur. Le soutien scolaire, c’est primordial, ajoute M. Gauthier. « Mais c’est difficile de faire tes devoirs si tes parents ne parlent même pas français ou n’ont pas les mêmes bases que toi. »

Il y a énormément de rattrapage [scolaire] à faire auprès de nos jeunes post-pandémie.

Marco Gauthier

« Quand je grandirai et que je vais passer devant ce bâtiment, je sais que j’aurai toujours un sourire. Je vais toujours me rappeler les fous rires et nos délires ici. Je n’oublierai jamais mes gars de la maison de jeunes », ajoute Azaël. Il n’est pas le seul à avoir élargi ses horizons entre les quatre murs du spacieux bâtiment.

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Raed Jamal et Karamba D’Salim

« Moi, il y a les cours de cuisine que j’aime beaucoup », indique timidement son ami Karamba D’Salim.

« Oh ! Il y a aussi des vidéos qu’on fait sur ce qui se passe dans le quartier. Comme des topos de nouvelles », ajoute son acolyte Raed Jamal, 17 ans.

Les programmes « Comité des jeunes » et « Éveilleurs de passion » viennent combler un besoin criant chez les jeunes : se trouver une passion et un but. Des modèles qui leur ressemblent viennent parler de leur métier pour montrer aux jeunes que la vie n’est pas limitée à quelques perspectives de carrière.

« Ils sont les leaders de demain, donnons-leur des modèles et de bonnes influences pour qu’ils fassent de bons choix », résume Marco Gauthier.

En savoir plus
  • 509 250 $
    Contribution financière de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension accordée à neuf organismes du secteur
    SOURCE : Arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension
    50 000 $
    Somme accordée en 2022 par l’arrondissement au centre Jeunesse unie
    SOURCE : Arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension