Un promoteur poursuit la Ville de Montréal après que celle-ci eut exercé son droit de préemption pour forcer l’« arrêt » d’un projet de logements

Un promoteur de Verdun qui tente de construire des unités résidentielles, dont des logements sociaux, poursuit la Ville de Montréal pour forcer celle-ci à « clarifier » l’usage de son droit de préemption sur l’un des lots où il souhaite construire, ce qui pourrait faire jurisprudence dans le monde municipal.

« Notre intention, ce n’est vraiment pas de bloquer le projet ni le droit de préemption, mais plutôt d’éclaircir la question de droit. Parce que pour nous, la Ville n’a pas respecté les règles du jeu. En fait, ils nuisent même au projet, parce que ça fait un an qu’il n’y a rien qui se passe sur ce terrain-là. Un an que tout le monde a perdu, sans qu’aucun logement social ne puisse se construire », soupire Alexandre Forgues.

Son entreprise District Atwater, qui se dit spécialisée dans le « développement responsable » de logements, a lancé il y a plus d’un an des « discussions très ouvertes » avec la Ville sur son nouveau projet, l’Hickson Dupuis, situé tout près du parc Duquette, dans Verdun. Il projette d’y construire trois unités contiguës de centaines de logements qu’il veut « abordables » et « intégrés dans la communauté », comme la plupart de ses projets, dont le plus récent, Origine Habitation Durable.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Forgues, président de District Atwater

Sauf que l’automne dernier, dans le contexte des élections municipales, tout a basculé, affirme M. Forgues. « D’un coup, ils sont arrivés avec leur droit de préemption sur l’un des lots. Sauf que comme les lots sont contigus, tu ne peux pas en prendre un pour le développer, ça va ensemble. Donc, comme la Ville a décidé d’exercer son droit de préemption sur un des lots seulement, je ne peux plus construire sur aucun terrain. Au final, ce n’est même pas logique et intelligent pour la communauté », condamne-t-il.

On a toujours très bien collaboré avec l’administration de Mme Plante. J’avoue que j’ai été vraiment déçu et vraiment surpris cette fois.

Alexandre Forgues, président de District Atwater

Ultimement, le terrain est donc inactif depuis plusieurs mois, la Ville « n’ayant pris aucune action concrète », selon le promoteur, qui s’impatiente. « Le potentiel total, on l’évalue à environ 600 unités. Avec son droit de préemption, si elle s’active, la Ville pourrait en faire 200 au détriment de 400 autres pour la communauté. Ça n’a pas de sens, il faut absolument s’entendre », insiste M. Forgues.

Dans l’intérêt de tous

Dans sa poursuite, déposée vendredi au palais de justice de Montréal, M. Forgues note que « l’intérêt public ne peut que bénéficier d’un tel jugement en permettant à tous les propriétaires […] de se faire minimalement assurer du respect d’un processus d’exercice du droit de préemption transparent et rigoureux ».

Qui plus est, le promoteur et son entreprise soutiennent que « la position choisie par la Ville a varié selon ses intentions du moment ou, à tout le moins, sont indicatives d’une grande incompréhension concernant les modalités d’exercice du droit de préemption ».

Appelé à réagir, le cabinet de la mairesse Valérie Plante a indiqué vendredi qu’il « compte utiliser tous les outils à sa disposition pour assurer une mixité dans la construction de logements comme le veut notre Règlement pour une métropole mixte ».

Le droit de préemption, qui est maintenant possible pour toutes les municipalités québécoises, nous permet de saisir des opportunités pour créer du logement social et abordable.

Alicia Dufour, attachée de presse du cabinet de la mairesse Valérie Plante

« Concernant le dossier judiciarisé, nous laisserons celui-ci suivre son cours », a soulevé l’attachée de presse, Alicia Dufour.

Si la cour accepte de se pencher sur le dossier, il pourrait bien s’agir d’un premier test juridique pour le droit de préemption à Montréal. C’est depuis février 2020 que la Ville s’est dotée de ce privilège, qu’elle avait acquis par voie législative en 2017, lui donnant la possibilité d’acheter des terrains et des bâtiments « en priorité » afin d’y développer des logements sociaux et communautaires.

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La mairesse de Montréal, Valérie Plante

« La Ville va avoir la chance d’acheter avant quiconque des terrains ou des immeubles mis en vente dans des secteurs prioritaires. Le marché immobilier est en effervescence à Montréal et il n’y a pas beaucoup de terrains qui sont offerts sur le marché. Lorsqu’il y en a, ils s’envolent très vite », avait expliqué Mme Plante.

Dès 2020, la Ville avait par ailleurs précisé qu’il n’était pas question d’utiliser le droit de préemption dans le cadre d’un projet résidentiel de grands développeurs. La mairesse avait aussi rappelé que dans ce cas précis, il existe un autre « outil », soit le règlement sur l’inclusion, ou le « 20-20-20 ».