Le premier programme de gestion de l’alcool pour sans-abri a ouvert ses portes à Montréal. Une solution d’urgence qui permet de limiter les effets du sevrage tout en favorisant la réinsertion sociale des itinérants.

Fruit d’une collaboration entre le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et la Mission Old Brewery, le centre est ouvert officiellement depuis fin avril. Après un wet shelter à Toronto et un projet pilote dans l’ancien hôpital Royal Victoria, il s’agit du premier programme de gestion de l’alcool à Montréal.

« Ça fait longtemps qu’on attendait cette ouverture », a souligné Elaine Polflit, coordinatrice chargée des personnes vulnérables au CIUSSS, à l’occasion d’une visite des lieux.

D’une capacité maximale de 30 places, le centre d’hébergement offre un soutien médical et psychosocial à des sans-abri en proie à une dépendance chronique à l’alcool. À la suite d’une série d’évaluations médicales, chaque nouvel arrivant se voit assigner un dosage d’alcool adapté à sa situation.

« L’idée est de rendre les personnes confortables, d’éviter le sevrage sans encourager une intoxication », a expliqué Émilie Fortier, directrice des services d’urgence à la Mission Old Brewery.

« Stabiliser la consommation »

Une fois leur dosage établi, les usagers se font servir des bières à créneaux réguliers plusieurs fois par jour. Des intervenants mesurent ensuite leur taux d’intoxication en ajustant au besoin les doses recommandées.

Notre objectif n’est pas de contrôler à 100 % la consommation. La personne qui connaît le plus sa situation, c’est l’usager en tant que tel.

Émilie Fortier, directrice des services d’urgence à la Mission Old Brewery

Photo Alain Roberge, LA PRESSE

Établi dans le bâtiment de la Mission Old Brewery, le centre est ouvert depuis fin avril.

D’après elle, la priorité est de « stabiliser la consommation » à l’intérieur des murs du centre, afin d’éviter tous les problèmes liés à la consommation d’alcool dans la rue. « Les gens que nous accueillons ici n’ont jamais cadré à long terme dans des ressources d’hébergement, a-t-elle précisé. Ce sont des gens qui font des commotions cérébrales, qui tombent, qui vont à l’hôpital plusieurs fois sans nécessairement obtenir tous les services adaptés. »

Le centre constitue alors une solution transitoire pour ces personnes, qui ne sont pas nécessairement prêtes à suivre des programmes de désintoxication.

« Les études faites sur la question montrent que, parfois, l’addiction est tellement forte qu’il n’est pas viable de leur demander de se priver », a souligné Elaine Polflit. « En les accueillant ici, nous savons qu’ils ne sont pas baladés entre la rue et les services d’urgence », a ajouté Émilie Fortier.

Le souhait des intervenants est que les usagers finissent par diminuer leur consommation. La baisse des dosages se fait cependant de manière très progressive, en prenant en compte le parcours propre à chaque personne.

Photo Alain Roberge, LA PRESSE

Dortoir dédié aux bénéficiaires du programme wet shelter.

Un effet positif sur la santé des sans-abri

Selon Émilie Fortier, cette méthode d’accompagnement porte déjà ses fruits. La directrice des services d’urgence à la Mission Old Brewery constate une baisse des séquelles physiques chez les personnes itinérantes, mais également des changements profonds dans leur rapport à la consommation d’alcool.

« Avant, leur journée était motivée par la recherche de consommation. Ici, la consommation est tranquillisée », a-t-elle expliqué.

Un constat partagé par Stéphane Lapointe, 49 ans, qui s’est joint au programme il y a huit semaines.

Photo Alain Roberge, LA PRESSE

Stéphane Lapointe en discussion avec une infirmière du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Je me sens mieux dans ma peau, car j’ai diminué considérablement ma consommation d’alcool.

Stéphane Lapointe, membre du programme depuis huit semaines

S’il admet avoir consommé dans les premiers temps à l’extérieur du centre, le programme a très vite eu des effets positifs sur sa santé mentale, atténuant l’anxiété dont il souffrait auparavant.

Il lui a aussi permis de penser à autre chose que ses problèmes d’alcool : « J’ai des buts et des objectifs, mais quand je vivais dans la rue, je m’en fichais, car je buvais tout le temps. Là, je commence à retrouver mes esprits. »

Reconnaissant qu’il ne pourra pas « arrêter d’un coup sec », M. Lapointe espère poursuivre dans cette voie pour retrouver un emploi et vaincre un alcoolisme qu’il combat depuis 15 ans. « Quinze ans de perdus », a-t-il souligné.