La filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec CDPQ Infra défend son projet de REM aérien en évoquant l’apport du futur comité d’intégration urbaine. Mais sa dernière expérience du genre a laissé un arrière-goût amer aux participants, déçus par l’étroitesse de leur mandat, a appris La Presse.

La majorité des sept membres du comité sur l’intégration urbaine du Réseau express métropolitain (REM) de l’Ouest ont terminé l’exercice avec l’impression de ne pas avoir pu se prononcer sur des éléments importants du projet, affirment quatre sources, témoins directs et indirects de ces réunions.

Le caractère massif des piliers de béton et de la structure de rail le long de l’autoroute Métropolitaine ainsi que l’empiètement sur le site patrimonial du canal de Lachine ne faisaient pas partie des sujets à l’ordre du jour. CDPQ Infra a toutefois demandé aux experts leur avis sur des sujets mineurs, comme le mobilier des gares.

« Quand j’ai embarqué là-dedans, j’étais enthousiaste, mais j’ai vite compris qu’on aurait peu d’impact », a confié à La Presse un membre du comité. « C’est un grand projet. On aurait eu le même nombre de rencontres pour un projet [beaucoup plus petit] comme un hôpital et on n’aurait pas pu tout couvrir. »

Un mandat limité

Au cœur du problème : le fait que le contrat de conception-construction avait été accordé au consortium NouvLR avant que le comité consultatif n’entreprenne ses travaux. « Le mandat était extrêmement limité. De toute évidence, les endroits où il y avait une sensibilité supplémentaire [à avoir] entre les stations, ils n’ont pas songé à l’utilité du comité. Ce n’est pas de notre faute ! » a déclaré un autre membre.

Le comité, dont la composition a été annoncée en mai 2018, incluait sept membres, dont une employée de la Caisse, un cadre de la Ville de Montréal, un représentant de l’Ordre des architectes et une représentante de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Le groupe s’est réuni quelques fois entre 2018 et 2020, pour des rencontres d’environ trois heures. Nos sources ont refusé d’être nommées parce qu’elles ont signé une entente de confidentialité.

Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal, faisait partie du comité. Il n’a pas voulu se prononcer sur les travaux du groupe, couverts par l’entente de confidentialité, mais ne cache toutefois pas qu’il a été surpris en constatant que le site patrimonial du canal de Lachine accueillerait une structure du REM. Il l’a appris en circulant en ville.

Malheureusement, le prestige de cet ouvrage fabuleux est grandement endommagé à cause de ça. C’est quelque chose duquel il faut tirer des leçons.

Dinu Bumbaru, d’Héritage Montréal

Dans un courriel à La Presse, CDPQ Infra a cherché à dissocier le passé de l’avenir. « Le REM de l’Est présente des défis d’intégration urbaine et architecturale très différents du REM aujourd’hui en construction [Rive-Sud, couronne nord, Ouest] », a indiqué le porte-parole Jean-Vincent Lacroix. « Notre approche au niveau de l’intégration architecturale sera donc adaptée à ce contexte. »

Contrairement au comité d’intégration du REM de l’Ouest, le REM de l’Est profitera d’efforts d’intégration en amont et ses conclusions seront imposées aux entrepreneurs, a ajouté M. Lacroix. « Le comité d’experts indépendants, qui sera formé, contribuera à la rédaction de l’appel d’offres public pour le REM de l’Est, a-t-il écrit. Les résultats du travail du comité seront rendus publics en toute transparence et en amont du BAPE. Le travail du comité s’échelonnera sur toute la durée du projet afin d’accompagner le bureau de projet à chaque étape. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La structure aérienne du REM en construction, dans l’ouest de l’île de Montréal, en juin dernier

« C’est dégoûtant »

Pour l’architecte et urbaniste Jean-Claude Marsan, aussi professeur émérite à l’Université de Montréal, les révélations de La Presse illustrent que la culture d’entreprise de la Caisse est à revoir. « Si vous allez à Londres ou même à Vancouver, des chantiers majeurs comme celui du REM se font avec des Services d’urbanisme métropolitain. Pendant ce temps, à Montréal, on a l’impression que c’est une compagnie qui veut faire de l’argent et qui donc s’organise pour son intérêt, avant celui des autres », soutient-il.

La réalité, c’est qu’il faut qu’on le dise sur la place publique : la Caisse paie ces gens-là pour entendre ce qu’ils ont à dire, mais au fond, tout est déjà décidé d’avance.

Jean-Claude Marsan, architecte et urbaniste

La fondatrice et présidente du conseil des fiduciaires du Centre canadien d’architecture, Phyllis Lambert, est du même avis. « Pour moi, la CDPQ n’a jamais vraiment consulté le public depuis le départ, donc ça ne me surprend pas d’entendre ça. Je ne sais pas pourquoi ils procèdent comme ça, c’est probablement un enjeu de rentabilité. C’est dégoûtant », martèle la figure de proue du milieu de l’architecture.

« S’ils veulent amocher Montréal, ils sont sur la bonne route. Connaissez-vous des métropoles dans le monde où des trains surélevés ont eu du succès ? Montréal ne doit pas avoir un réseau de troisième classe, ça saute aux yeux », insiste-t-elle.

Un contrôle du message ?

Chez Trajectoire Québec, un organisme qui représente les droits et intérêts des usagers du transport collectif, le président François Pepin déplore lui aussi que la Caisse « contrôle énormément son message et son produit ». « On a beaucoup d’inquiétudes. Le comité aviseur devrait être beaucoup plus grand et diversifié. Habituellement, une structure pareille couvre beaucoup plus large », lâche-t-il.

« La réalité, c’est que le mode traditionnel de déroulement des projets dans les villes, c’est trop lent pour la CDPQ. Ils le font dans un souci d’efficience, certes, sauf que ça crée des raccourcis qui font que ça va beaucoup trop vite », avance M. Pepin, qui a travaillé en tant que directeur d’études pour la Société de transport de Montréal pendant plus de 30 ans.

Au final, ce sont des banquiers et des ingénieurs qui travaillent ensemble. La culture de consultation qu’on voit à l’ARTM, elle ne s’est pas encore rendue à la Caisse.

François Pepin, président de Trajectoire Québec

Chroniqueur en développement urbain, Marc-André Carignan seconde. « Des entités comme l’ARTM ont le mandat de développer une vision d’ensemble apolitique pour le transport en commun, complémentaire au réseau existant. La Caisse, elle, mise avant tout sur un tracé qui sera profitable pour son modèle d’affaires, qui découle directement d’une commande politique. Et ce, même si on en vient à cannibaliser des réseaux existants, comme le métro », explique-t-il.

Alors qu’une autre consultation est prévue au printemps, François Pepin demande à la Caisse de changer sa formule. « Ça va prendre plus que des séances d’information. Il faut vraiment aller vers une consultation publique, au sens propre, pour aller chercher le pouls de la population sur ses besoins et sur l’arrivée d’un projet pareil dans leur quartier », conclut-il.