Des résidants de Lachine, à Montréal, demandent au ministère des Transports de réinstaller des panneaux d’arrêt retirés en 2015 à une intersection très fréquentée où un homme de 56 ans a été gravement blessé le mois dernier, a appris La Presse. Parallèlement, des citoyens dénoncent le manque de surveillance policière après qu’une dame âgée happée samedi dans le quartier Villeray eut succombé à ses blessures mardi, deuxième piétonne à perdre la vie au cours de la première semaine de 2020 dans la métropole.

La circulation routière lourde file sans ralentir à l’intersection de la rue Saint-Jacques et de l’avenue Boyer, un bout de rue résidentielle et commerciale très passant du quartier Saint-Pierre.

Durant des années, des dizaines de piétons ont pu traverser la rue Saint-Jacques à cet endroit chaque jour pour rejoindre la garderie, la boutique médicale, le dépanneur ou l’arrêt de l’autobus 90 qui s’y trouvent.

« On vit ici, explique Marnie Emmett, qui habite rue Saint-Jacques. Il y a des familles, des aînés. On se déplace, on doit traverser la rue. »

En 2015, sans consulter les résidants, le ministère des Transports a retiré les panneaux d’arrêt et le passage piétonnier qui se trouvaient à cette intersection.

Depuis, traverser la rue Saint-Jacques légalement demande aux gens de faire un détour vers l’est puis de traverser à une intersection où l’offre en commerces est peu abondante, ou vers l’ouest, où la circulation motorisée est encore plus lourde. Cela complexifie des déplacements auparavant simples et naturels à exécuter, ont noté plusieurs citoyens.

« Ils ont retiré l’arrêt sans nous le dire », explique Gérard Poulin, qui habite tout près.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Gérard Poulin

C’est irresponsable de faire ça, ça augmente le danger. Ça n’a pas d’allure, pour parler franchement.

Gérard Poulin

Le 13 décembre, un homme de 56 ans a été happé et grièvement blessé par un automobiliste alors qu’il tentait de traverser la rue Saint-Jacques à cet endroit.

Aujourd’hui, des citoyens demandent aux autorités de réinstaller les panneaux d’arrêt. La situation est surtout critique pour les aînés qui se rendent à la boutique Wil-Aide Medical, qui vend des déambulateurs, des fauteuils roulants et des lits d’hôpital.

« Je dois souvent arrêter le trafic pour qu’une personne âgée puisse traverser la rue, signale Darquis Rivard, un résidant. Les automobilistes le font, mais tu sens qu’ils sont impatients et qu’ils ont juste envie de décoller. »

« Faciliter la circulation »

Deux résidants rencontrés par La Presse, Arthur Degré et une femme qui a dit s’appeler Cindy, ont raconté avoir tous deux été heurtés par des automobilistes il y a quelques années à cet endroit, alors que les panneaux d’arrêt étaient encore en place.

« Ce qu’il fallait faire, c’est rendre l’arrêt plus visible encore, mettre des feux clignotants, explique M. Degré, qui a longtemps travaillé comme policier dans le secteur. Mais au lieu de le rendre plus visible, ils l’ont retiré ! »

À l’arrondissement Lachine, on nous explique que la question de cet arrêt relève de la Ville de Montréal. À la Ville de Montréal, on nous explique qu’il relève plutôt du ministère des Transports.

Sarah Bensadoun, porte-parole du ministère des Transports du Québec (MTQ), note que le Ministère a retiré les arrêts obligatoires en 2015 à deux intersections différentes : celle de Saint-Jacques et Boyer, et celle de Saint-Jacques et de l’avenue Duranceau.

L’objectif était de faciliter la circulation des usagers dans le secteur, à la suite des différentes entraves qu’on avait au sujet des travaux sur l’échangeur Turcot.

Sarah Bensadoun, du MTQ

Elle note que le Ministère a par la même occasion ajouté des panneaux d’arrêt à l’angle de la rue Saint-Jacques et de l’avenue du Chalet — une intersection située entre les deux intersections où des panneaux ont été retirés.

Sur place, nous avons pu constater qu’aucun commerce ne se trouve à cette intersection, et que les besoins de traverse sont moindres pour les gens du secteur.

Les citoyens n’ont pas été consultés, signale Mme Bensadoun. « On avise toujours les arrondissements et les municipalités. Dans ce cas-ci, ça a été fait. »

Sécurité d’abord

Une fois que les travaux liés à la réfection de l’échangeur Turcot seront terminés, le Ministère entreprendra des discussions avec l’arrondissement de Lachine et la Ville de Montréal pour déterminer quelles intersections devront être gérées avec des panneaux d’arrêt.

Pour Jeanne Robin, co-porte-parole de l’organisme Piétons Québec, la fluidité de la circulation motorisée ne devrait pas avoir priorité sur la sécurité et sur le confort des usagers les plus vulnérables.

« Le message que le Ministère envoie, c’est que les piétons ne sont pas les bienvenus dans toutes les rues, dit-elle. Certains vont se sentir à l’aise de traverser, parce qu’ils savent qu’ils marchent vite. Mais pour les enfants, les personnes âgées, on vient de freiner leurs déplacements. Les personnes âgées, ce n’est pas vrai qu’elles vont faire les détours, dans la neige, dans des conditions pas agréables. Elles vont arrêter de se déplacer, ou bien elles vont prendre des risques et traverser quand même. »

Ne pas sécuriser chaque intersection rend un quartier « imperméable aux piétons », dit Mme Robin.

« On est dans une logique de transit, on cherche à permettre aux voitures de se déplacer le plus rapidement possible. En 2020, on ne devrait plus voir cette mentalité. C’est sur l’autoroute qu’on n’a pas à s’arrêter. En ville, on s’arrête. »

Début d’année mortel dans les rues de Montréal

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’intersection où a eu lieu la collision mortelle, samedi, se trouve devant l’école primaire Saint-Gérard, dans Villeray.

Une dame âgée happée par le conducteur d’un VUS Land Rover samedi après-midi dans le quartier Villeray alors qu’elle traversait à une intersection jugée dangereuse par des résidants du secteur est morte de ses blessures, mardi.

« La dame âgée de 79 ans traversait la rue Lajeunesse quand le conducteur du véhicule a effectué un virage à gauche pour s’engager sur Lajeunesse en direction nord, explique Caroline Chèvrefils, des relations médias du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). L’enquête est en cours, le coroner est impliqué dans l’enquête désormais, car il y a eu un décès. »

L’intersection où a eu lieu la collision se trouve devant l’école primaire Saint-Gérard. De nombreuses mesures visant à rendre le passage des piétons plus sécuritaire y sont implantées, dont des feux piétons, du marquage au sol qui a toutefois été effacé par l’abrasion des pneus des véhicules, ainsi qu’un trottoir élargi pour réduire le temps de traverse. La limite de vitesse imposée à cet endroit a été réduite de 50 km/h à 30 km/h en 2018.

Cependant, de nombreux automobilistes empruntent ce tronçon résidentiel pour aller passer sous l’autoroute 40 et continuer vers le nord, si bien que l’endroit est jugé dangereux pour les usagers de la route les plus vulnérables, selon des citoyens du secteur.

« La Ville a pris des mesures pour rendre ce coin de rue sécuritaire, mais je peux vous assurer que beaucoup de conducteurs s’en foutent », explique Chantal Gauthier, une citoyenne qui habite à proximité depuis neuf ans. 

Je suis une piétonne prudente, et j’ai déjà failli me faire passer sur le corps en traversant, un automobiliste m’a même déjà insultée parce qu’il était trop pressé de tourner !

Chantal Gauthier

La présence de brigadiers scolaires les jours d’école à cet endroit ne suffit pas à rendre l’intersection sécuritaire, dit-elle. « Il y a beaucoup d’arrogance et d’impatience. La limite de 30 km/h est très peu respectée. Je crois que ça prendrait plus de surveillance et plus d’affichage et d’incitation à ralentir. »

« Regarder en amont »

Pour Jeanne Robin, co-porte-parole de l’organisme Piétons Québec, les aménagements adéquats pour les piétons ne constituent pas une panacée pour améliorer la sécurité d’une intersection.

« En sécurité routière, on dit souvent que s’il n’y a pas de problème apparent à l’endroit où s’est produite une collision, il faut regarder en amont. Si c’est un axe qui est beaucoup utilisé pour du transit, il faut probablement travailler à l’échelle du corridor pour chercher des moyens d’apaiser la circulation. »

Le principal facteur qui influe sur la dangerosité d’une intersection est le nombre de voitures et de camions qui y circulent, rappelle-t-elle. « On dit souvent qu’il faut réduire le problème à la source et réduire la circulation motorisée. C’est une bonne avenue, mais on comprend que ça se met en place sur le long terme. »

Quand on voit l’étalement urbain qu’il y a dans la région de Montréal, tout ça crée de la circulation motorisée, tout ça aggrave les problèmes de sécurité routière.

Jeanne Robin, de Piétons Québec

À Montréal, il s’agit de la deuxième collision mortelle impliquant un piéton pour l’année qui vient de débuter. Samedi également, une autre piétonne de 74 ans a perdu la vie dans des circonstances similaires dans l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie.

« Le principal enjeu »

Éric Alan Caldwell, responsable de la mobilité et de l’urbanisme au comité exécutif de la Ville de Montréal et conseiller municipal d’Hochelaga, a signalé dimanche que la sécurité des piétons était une « obsession » pour l’administration municipale.

« C’est le principal enjeu de sécurité urbaine dans nos rues », dit-il.

Pour ce qui est du virage à gauche — les comportements routiers présents dans les deux collisions survenues samedi —, la Ville travaille à reprogrammer l’ensemble des feux de circulation sur son territoire.

« Comme c’est un scénario d’accidents identifié, cette reprogrammation se fait pour minimiser les risques de virages à gauche. Chaque opportunité de réaménagement fait en sorte qu’on améliore la sécurité des piétons aux intersections. »

L’année 2019 aura été particulièrement meurtrière pour les piétons montréalais, alors que 24 d’entre eux ont perdu la vie. Quelques mois auparavant, Piétons Québec a dénoncé une hausse des morts de piétons par rapport à l’année 2018.