(Montréal) Les étudiants de l’École d’ébénisterie d’art de Montréal (EEAM) auront une rentrée scolaire bien spéciale, et pas seulement à cause de la pandémie. Ils n’ont tout simplement pas de locaux pour apprendre leur métier.

La direction de l’école a pourtant trouvé un endroit pour déménager son imposant arsenal de machines, mais elle attend toujours des nouvelles du gouvernement pour obtenir du financement.

« Je me sens beaucoup mal prise, stressée, un peu frustrée », a témoigné Marie-Claire Allard, une étudiante en deuxième année.

La jeune femme de 22 ans souligne que les étudiants en ébénisterie ne peuvent pas se contenter de suivre des cours en ligne étant donné l’importance de la pratique.

« C’est vraiment important de pouvoir continuer à travailler sur des machines-outils, vu que c’est un apprentissage délicat, a-t-elle expliqué. Au mieux, on va avoir eu huit mois d’arrêt, sans toucher aux machines-outils, ce qui est vraiment beaucoup. »

Pas d’école physique

Depuis sa création, l’EEAM n’est pas établie dans un lieu physique consacré uniquement à elle ; elle a toujours été hébergée dans d’autres établissements, et est affiliée au cégep du Vieux Montréal pour offrir les cours de base du niveau collégial.

Il y a quelques années, elle s’est installée dans les locaux de l’École nationale du meuble du cégep de Victoriaville, mais les relations n’étaient pas très bonnes puisqu’il s’agissait, tout compte fait, d’écoles en concurrence, a relaté la directrice de l’EEAM, Marie-Amélie St-Pierre.

Ainsi, le cégep a envoyé une lettre l’an dernier pour dire à l’École d’ébénisterie qu’elle était évincée de l’immeuble. La direction de l’école a alors tenté par tous les moyens de trouver une autre bâtisse.

Elle a d’abord opté pour un endroit sur la rue Chabanel, dans l’arrondissement Ahunstic-Cartierville, à Montréal, mais les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Culture n’ont jamais répondu à son appel pour obtenir du financement au moment où la crise de la COVID-19 en était à ses balbutiements. Le projet a finalement été abandonné, car la bâtisse devait être exploitée.

La direction a aujourd’hui dans sa mire un autre bâtiment dans le même quartier, mais elle est encore en attente de la réponse des ministères. En ce moment, ils n’ont donc aucun local à offrir à leurs étudiants.

La Presse canadienne a tenté de joindre les attachés de presse des deux ministres.

Une situation « urgente »

La directrice de l’école, qui quittera son poste bientôt après avoir démissionné, croit que le gouvernement ne comprend pas l’urgence de la situation.

« Ça fait des mois. La rentrée scolaire est à nos portes et je n’ai toujours pas de solution », a souligné Marie-Amélie St-Pierre.

À court terme, l’école a pu s’organiser pour placer ses finissants de l’année dernière dans des ateliers d’artisans — ce qui coûte une petite fortune, selon Mme St-Pierre — et les étudiants de première année pourront s’exercer dans un atelier du cégep du Vieux Montréal.

Mais une cinquantaine d’étudiants, comme Ginette Heppelle, ne pourront tout simplement pas recevoir de cours.

« Mon (aide pédagogique individuelle) a dû ouvrir des cours généraux que je n’aurais pas besoin de prendre, qui n’ont complètement pas rapport avec mon cheminement juste pour que je puisse garder mon statut d’étudiant, a-t-elle raconté. C’est du temps de plus, ce sont des prêts et bourses de plus », s’est-elle désolée.

Des projets sur la glace

Les deux étudiantes interrogées par La Presse canadienne exhortent le gouvernement à penser à tous les étudiants affectés par la situation, dont les nombreux projets ont été mis sur la glace.

« Un moment donné, la bureaucratie, c’est bien beau, mais il faut penser au futur des étudiants », a plaidé Mme Heppelle.

« C’est un savoir-faire québécois, on utilise des matériaux nobles écologiques et renouvelables. Ce sont des compétences acquises qui vont servir pour ici », a ajouté sa collègue Marie-Claire Allard.

Marie-Amélie St-Pierre croit d’ailleurs que le métier d’artisan n’est pas assez valorisé au Québec.

« On a des ébénistes extraordinaires, des étudiants extraordinaires, et je déplore qu’on ne les mette pas sur le même pied d’égalité que certains réalisateurs québécois », a-t-elle soutenu.

« On parle beaucoup de l’achat local, ça passe aussi par les artisans locaux. »