Le Réseau express métropolitain (REM) doit entrer en gare à partir de 2021. Pour que ce soit possible, tout se fait à vitesse grand V. La construction et la conception se font en même temps, bousculant les façons de faire des villes, qui n'ont aucun contrôle sur l'allure de cette immense infrastructure qui doit s'intégrer au paysage urbain.

Dix jours. C'est le temps accordé à Montréal, Brossard, Laval et toutes les autres villes et municipalités dont le territoire sera traversé par le Réseau express métropolitain (REM) pour réagir aux questions d'urbanisme et d'architecture que leur soumet CDPQ Infra, la filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec responsable du REM. Dix jours, et les villes n'ont qu'un pouvoir d'influence.

« Avec son processus Design-Build (conception-réalisation), le REM avance à une vitesse à laquelle on n'est pas habitués dans notre accompagnement des autres projets d'envergure comme Turcot et le nouveau pont Champlain », constate Éric Alan Caldwell, responsable du dossier des infrastructures au sein du comité exécutif de la Ville de Montréal. « On ne se le cachera pas, c'est un défi énorme », dit-il en reconnaissant que tout doit se faire vite, très vite, et qu'« il n'y a pas de retour en arrière ».

Un grand projet immobilier, par exemple, nécessite des mois et des mois de planification et d'allers-retours entre le promoteur et les fonctionnaires. On ajuste ceci, on corrige cela. Mais pour le REM, les règles d'urbanisme qui permettent normalement aux municipalités de déterminer l'usage des terrains et des bâtiments ainsi que l'apparence des constructions ne tiennent plus. Et la délivrance des permis n'est plus nécessaire, comme le stipule la Loi concernant le Réseau électrique métropolitain adoptée en septembre 2017. Dans ce contexte, CDPQ Infra ne soumet pas de plans et devis aux villes. On les leur présente pour obtenir des commentaires qui doivent être formulés en 10 jours.

La stratégie de CDPQ Infra lui permet de démontrer sur la scène internationale sa capacité d'agir en « fast track », explique l'urbaniste Gérard Beaudet, professeur à l'Université de Montréal. C'est très vendeur, mais cela implique de « bulldozer tout le monde ».

« Pour que ça puisse bien fonctionner, on court-circuite tous les mécanismes habituels d'évaluation des projets. Si la Caisse n'avait pas cette carte dans son jeu, elle ne pourrait pas bousculer les municipalités comme elle le fait actuellement. Elle aurait des comptes à rendre. »

Ce cadre était connu dès le départ, réplique-t-on chez CDPQ Infra. « On est un mandataire de l'État. On travaille en concertation avec les villes, mais on n'est pas assujettis à la réglementation des villes », explique Virginie Cousineau, directrice des affaires publiques chez CDPQ Infra.

Une seule et même vision

Comme le rappelle Mme Cousineau, le REM traverse 18 municipalités et arrondissements, chacun doté de ses règlements d'urbanisme, alors que la Caisse « cherche à avoir un fil continu sur l'ensemble du réseau ». « Quand c'est possible, on retient les commentaires des municipalités », ajoute-t-elle.

En fait, les villes n'ont pas accès à l'ensemble des plans, mais seulement à ceux qui touchent leurs propres ouvrages, par exemple les rues ou les conduites souterraines, reconnaît Mme Cousineau. En clair, CDPQ Infra a besoin d'obtenir les informations techniques détenues par les villes pour mener à bien son projet.

À Montréal, l'intégration urbaine du REM est un véritable enjeu. On craint que des quartiers ne soient enclavés, puisque l'emprise du REM sera « infranchissable » et les passages à niveau, chose du passé. « La question de l'insertion urbaine concerne surtout les réseaux de transport actif pour les piétons et les cyclistes. Ça prend des passerelles, des passages, des accès pour que ce ne soit pas une fracture dans la trame urbaine », souligne M. Caldwell, qui précise que « le but ce n'est pas que le train passe à travers un quartier, mais que les gens puissent le prendre ».

À Brossard où la construction du REM est la plus avancée, on s'accommode vraisemblablement de la situation, en plaidant la vigilance. Le directeur du service de l'urbanisme, Éric Boutet, indique que la Ville a réussi à faire modifier l'aménagement paysager de la station terminale ainsi que la configuration de la station Panama. Quant à l'esthétique des stations, M. Boutet reconnaît que la seule information dont il dispose se résume aux « images d'ambiance » avec lesquelles CDPQ Infra fait la promotion de son projet.

Et même si les villes avaient des détails entre les mains, elles sont tenues au secret. « Nous sommes liés par des clauses de confidentialité », indique M. Boutet.

« Gérants d'estrade »

Il y a lieu de s'inquiéter, disent d'une même voix Gérard Beaudet et les professeurs Danielle Pilette et David Hanna de l'UQAM. Ils dénoncent le manque de transparence du projet qui file entre les doigts des villes dont les règles d'urbanisme sont contournées.

« On a tellement besoin d'un système léger sur rail à Montréal. On a au moins 30 ans de retard. [...] On a besoin du REM, mais la contrepartie, c'est que la méthode de planification est un peu bric-à-brac. Normalement, on ne se met pas à construire sans avoir réglé les questions de design et d'intégration », commente David Hanna, professeur associé au département d'études urbaines et touristiques.

La professeure Danielle Pilette, spécialiste des affaires municipales, dit constater une « gestion complètement opaque » du projet, et ce, même si les sites internet de CDPQ Infra, de NouvLR (consortium responsable de l'ingénierie et de la construction du train) et REM.info présentent une foule de renseignements. « La Caisse en dévoile toujours le moins possible », dit-elle.

Au moment où le gouvernement du Québec reconnaissait que les municipalités étaient des gouvernements de proximité, ces dernières étaient reléguées au statut de « gérants d'estrade » pour le projet du REM, estime Gérard Beaudet.

« Le projet a démarré sur les chapeaux de roues et on n'a jamais été capables d'avoir un regard critique sur l'ensemble du projet. La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a appuyé tout ça les yeux fermés. »

La faible capacité d'action des villes désole Mme Pilette, car même l'emplacement des stations leur échappe. Il s'agit pourtant de choix importants pour donner une direction au développement d'un secteur plutôt que d'un autre. Pour Gérard Beaudet, cela confirme que le pouvoir des villes se limite, au mieux, « à du bricolage à la marge ».

Acceptabilité sociale

Toutes les villes n'ont toutefois pas les mêmes préoccupations. Selon Danielle Pilette, ce sont moins les questions architecturales ou d'intégration urbaine qui soulèvent les passions que de savoir « si la station du REM rentabilisera le développement de leur territoire » (comme la réduction des stationnements incitatifs dans l'ouest de l'île) ou s'il y aura des impacts sur les services municipaux. Elle cite l'exemple de Mont-Royal, où les citoyens ont monté le ton l'automne dernier lorsqu'ils ont réalisé qu'il pourrait y avoir jusqu'à 550 passages de train par jour dans leur banlieue cossue. Les nuisances visuelles et sonores ont soulevé des inquiétudes.

Pendant ce temps, le REM avance et s'installe dans le paysage sans grande délicatesse, selon Gérard Beaudet. « On n'a qu'à constater la grosseur des piliers qui sont en construction pour réaliser que ce ne sera pas très léger. [...] Il va y avoir des impacts et on va probablement avoir quelques mauvaises surprises », a-t-il prédit. Quelques jours plus tard, La Presse constatait qu'un pilier du REM avait été planté en plein site patrimonial du canal de Lachine (voir prochain onglet).

Chose certaine, CDPQ Infra se défend de réfléchir en vase clos. Virginie Cousineau rappelle qu'une vision architecturale a été développée avec la Ville de Montréal, qu'il existe « une charte de design » évaluée par les experts indépendants et qu'un comité consultatif sur l'intégration urbaine et architecturale est en place. Cela n'empêche toutefois pas Éric Alan Caldwell de souligner que la population montréalaise est habituée aux assemblées de consultation et d'information, aux comités de bon voisinage et à la présence d'agents de liaison. « Avec le mode de réalisation du REM, tout est plus bousculé. On essaie de les aider pour qu'ils s'inspirent de nos bonnes pratiques. C'est important de dire aux citoyens ce qui s'en vient et de leur permettre de réagir. »

Mode de réalisation

CPDQ Infra a choisi de mener le projet du REM selon le mode de réalisation appelé conception-construction, ou Design-Build. Cela signifie que les plans sont dessinés au fur et à mesure de la construction du REM. Cette façon de faire accélère les travaux en comparaison du mode traditionnel, où les plans et devis détaillés sont complétés avant de solliciter des offres pour la construction du projet. La réalisation du REM est confiée au consortium d'entreprises NouvLR constitué de SNC-Lavalin, Dragados, Aecon, Pomerleau et EBC.

Le REM en bref

• Réseau de train électrique automatisé (sans conducteur)

• Longueur du trajet: 67 km et 26 stations

• Connexions : Lignes de métro bleue, verte et orange

• Service : Offert 20 heures par jour, tous les jours

• Premiers départs : Prévus en 2021 (Brossard-Gare Centrale)

• Coût de réalisation : 6,3 milliards