Le Comité logement Ville-Marie et le Comité logement du Plateau Mont-Royal ont demandé hier aux autorités l'interdiction de l'usage de la plateforme Airbnb dans leurs arrondissements. Près de 60 % de l'offre locative d'Airbnb annoncée dans la métropole se trouve dans ces deux quartiers centraux, selon une étude dévoilée hier.

La location de logements entiers via le site Airbnb retire 5 % des logements aux Montréalais, augmente l'embourgeoisement, cause le déracinement de locataires de longue date et accentue le sentiment d'insécurité vécus par les habitants des quartiers centraux, explique Odile Lanctôt du Comité logement du Plateau Mont-Royal. Son organisation brosse un portrait sombre de l'impact d'Airbnb.

« C'est passé d'un projet cool à un mal acceptable. Ça détruit notre tissu urbain ! », dit Gaétan Roberge du Comité logement Ville-Marie.

« Les comités logement ont raison de s'inquiéter », croit Richard Ryan, conseiller municipal pour Projet Montréal dans l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal. Il constate sur le terrain un sentiment de détresse croissant face à la perte de milieux de vie, tandis que les plaintes s'accumulent sur son bureau. M. Ryan estime, en revanche, qu'il n'est pas opportun d'aller aussi loin que l'exigent les deux comités. « Il faut mettre en application les lois en place », plaide-t-il.

Depuis juin dernier, Revenu Québec assure un rôle de surveillance et de coercition des locations illégales, mais jusqu'à présent, aucune amende n'a été imposée au terme des 3896 inspections réalisées avant le 1er février 2019. Revenu Québec précise toutefois que 1111 avertissements ont été délivrés. Les contrevenants s'en tirent jusqu'ici à bon compte, si l'on songe que les amendes prévues à la loi 67 peuvent atteindre 50 000 $.

Difficile de faire respecter la loi

Les arrondissements du Plateau-Mont-Royal, de Ville-Marie et du Sud-Ouest ont tenté de mettre en place des règlements particuliers afin de restreindre les zones où il était permis d'obtenir des attestations de classification d'hébergement touristique. Aujourd'hui, les acteurs commerciaux, comme les agences immobilières, qui louent des logements doivent se pourvoir d'une attestation délivrée par Tourisme Québec. Dans le cas des particuliers, la règle prévoit qu'on ne doit pas louer de façon « régulière » sa résidence pour se soustraire à cette obligation.

Il demeure toutefois difficile d'avoir un impact réel, croit Richard Ryan. « On veut que Revenu Québec monte d'une coche de sévérité », ajoute-t-il. Son arrondissement a d'ailleurs déjà engagé des inspecteurs privés pour tenter de pallier le problème.

L'élu de Projet Montréal précise qu'il encourage fortement les gens qui constatent des infractions à les dénoncer. « C'est plus de 75 % des cas rapportés qui sont de vrais cas d'invalidité validés », explique-t-il. « Actuellement, c'est le free for all », se désole de son côté Gaétan Roberge du Comité logement Ville-Marie, qui montre du doigt le manque d'inspecteurs. Toutefois, il estime que la délation n'est pas une méthode appropriée pour venir à bout du problème.

Une croissance continue

Airbnb s'inscrit dans un contexte de « néolibéralisme urbain », croit de son côté Anne Latendresse, professeure de géographie sociale à l'UQAM. « On pense la ville comme une course aux profits », explique la chercheuse. La vision de la ville se base alors sur des préoccupations tournées vers l'extérieur, notamment pour attirer des investisseurs. La construction de grands ensembles architecturaux, comme des casinos auxquels se greffent des magasins et des salles de spectacle, ou encore la tenue d'événements comme des Jeux olympiques participent d'une privatisation de l'espace public, poursuit-elle. « On perd alors ce qui est une des richesses de Montréal, la vie de quartier », conclut Mme Latendresse.

Dans la dernière année, environ 10 800 annonces pour la location de logements entiers du Plateau et de l'arrondissement de Ville-Marie ont été mises en ligne sur Airbnb, générant des revenus d'environ 132 millions de dollars, estime une étude menée par le professeur David Wachsmuch de l'Université McGill.

Le revenu total tiré de ce type de location à Montréal a bondi de 60 % l'an dernier. Airbnb estime aujourd'hui à environ 27 000 le nombre d'hôtes dans la métropole.

Aucune solution n'est parfaite

San Francisco est souvent considéré comme un modèle à suivre. La Ville a rendu obligatoire l'enregistrement des hôtes. La métropole californienne a alors traîné Airbnb devant les tribunaux, l'obligeant à retirer 50 % de ses offres, considérées comme illégales, explique Gaétan Roberge, du Comité logement Ville-Marie.

Questionné sur la situation du Québec, Airbnb affirme vouloir coopérer. « Les hôtes partagent leur résidence quelques nuits par mois pour aider à joindre les deux bouts », plaide Alexandra Dagg, porte-parole d'Airbnb. 

Une réglementation plus coercitive pourrait avoir pour conséquence de donner aux propriétaires un pouvoir accru de chasser les locataires qui feraient usage de la plateforme sans les avoir avisés au préalable. Au Québec, la sous-location doit être approuvée par le propriétaire.

En revanche, un total laisser-faire du marché locatif entraînerait des spéculations sur le prix des loyers par les promoteurs, craint Mme Latendresse.