Accompagnée par SNC-Lavalin, la Direction de l'eau potable de la Ville de Montréal a accordé un contrat de 24,6 millions à un soumissionnaire qui aurait dû être déclaré inadmissible, révèle une enquête du Bureau de l'Inspecteur général (BIG). Plus troublant encore, ce soumissionnaire a tenté de «tromper» l'inspecteur général en forgeant une date sur un document demandé au cours de l'enquête.

Puisque les Montréalais n'ont pu obtenir le «meilleur produit au meilleur prix» le BIG a résilié le contrat aujourd'hui. L'opposition officielle à l'hôtel de ville demande quant à elle que le dossier soit transféré à l'UPAC.

Cet appel d'offres visait à remplacer les pompes vieillissantes de l'usine Atwater, qui fournit l'eau potable à près de la moitié de la population montréalaise. Initialement, 20 entreprises se sont montrées intéressées par ce lucratif contrat, mais au final, seulement cinq ont soumissionné.

Après l'ouverture des enveloppes, aucune des cinq soumissions n'a été jugée conforme puisque le type de pompe exigé par la Ville n'existait pas sur le marché.

Selon le chef de division et l'ingénieur responsable du dossier, la Direction de l'eau potable voulait éviter d'avoir à recommencer le processus, une situation qu'elle venait tout juste de vivre dans un appel d'offres visant le réservoir d'eau potable de Rosemont.

Un comité spécial composé de représentants de la Ville et de SNC-Lavalin a alors été mis sur pied. La firme d'ingénierie SNC-Lavalin avait été mandatée par la Ville pour concevoir le devis technique dans ce projet, mais aussi pour offrir du support à la Ville tout au long du processus d'appel d'offres.

Au terme de quelques rencontres, seul le troisième plus bas soumissionnaire, Xylem, a été déclaré conforme. Xylem proposait un système de refroidissement de l'huile des moteurs des pompes différent des autres, mais qui n'était pas celui demandé dans le devis.

«Lorsque le donneur d'ouvrage ne rejette pas une soumission qui ne respecte pas une exigence indiquée comme fondamentale dans l'appel d'offres, c'est l'intégrité même du processus contractuel qui s'en trouve affectée», souligne Me Denis Gallant dans son rapport de 65 pages déposé aujourd'hui lors du conseil municipal.

Lettre pré-datée

Au centre de cette affaire, repose aussi le dépôt d'une lettre de recommandation attestant de la fiabilité des pompes, un critère initialement requis pour remporter le contrat. Trois entreprises, dont Xylem, n'ont jamais déposé une telle lettre. Cette absence a toutefois été jugée de «non-conformité mineure» par le comité spécial, une «erreur» selon le BIG.

«Bien que certains puissent penser que le défaut de fournir la lettre n'est qu'un défaut de forme et qu'il ne s'agit que d'une simple lettre, il faut comprendre les conséquences d'accepter une soumission inadmissible... Certaines entreprises qui ont pris possession des cahiers des charges ont peut-être décidé de ne pas soumissionner à l'appel d'offres pour la seule et unique raison qu'en lisant les documents d'appel d'offres, elles pensaient ne pas être en mesure de fournir la lettre exigée», écrit Me Gallant dans son rapport.

Étrangement, lorsque le BIG a contacté les soumissionnaires pour obtenir une copie de leur lettre de recommandation ou d'expliquer la raison de cette omission, Xylem a envoyé une lettre qu'elle a pré-datée à juin 2014 alors que la lettre avait en fait été rédigée en septembre 2015, soit quinze mois plus tard.

Appelé à réagir, le maire de Montréal, Denis Coderre, s'est félicité d'avoir créé le poste d'inspecteur général. «Le processus fonctionne, on a quelqu'un qui lève le drapeau, je pense que c'est rassurant pour les payeurs de taxe», a-t-il déclaré lors d'une mêlée de presse à l'hôtel de ville. Il a ajouté que 1,4 million avait déjà été dépensé par la Ville dans ce contrat.