La Cour européenne des droits de l’Homme s’est penchée mercredi, au cours d’une audience inédite, sur le réchauffement climatique, à la demande de six jeunes Portugais qui reprochent à 32 États leur « inaction » en la matière.

Les six jeunes gens, âgés de 11 à 24 ans, ont porté plainte devant la CEDH à la suite des incendies de forêt qui ont ravagé leur pays en 2017, faisant plus de 100 morts.

« J’espère que le tribunal comprendra l’urgence de cette situation et qu’il tranchera en faveur de notre cause », a lancé à l’issue de l’audience l’un des plaignants, André Oliveira, 15 ans.

Face à l’argumentaire des États visés, il s’est dit « choqué par la tentative des pays d’ignorer les preuves et de banaliser les dommages auxquels nous sommes déjà confrontés ».  

C’est la première fois que la Cour, dont la jurisprudence en matière de réchauffement climatique est encore vierge, était saisie d’une requête concernant un si grand nombre d’États (les 27 membres de l’Union européenne, la Norvège, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni et la Russie).

L’audience s’est déroulée devant une salle comble, avec plus de 80 avocats et juristes représentant les 32 États incriminés. Seules l’Ukraine, contre laquelle les requérants ont abandonné leurs demandes, et la Russie, qui ne siège plus à la CEDH depuis 2022, n’étaient pas représentées.

Recevabilité incertaine

Les débats ont essentiellement porté sur la recevabilité du dossier, fortement contestée par les États défendeurs. Ils ont souligné l’absence d’épuisement des voies de recours devant les tribunaux nationaux, habituellement requise pour saisir la CEDH, et remis en cause la qualité de victimes des requérants face aux politiques d’États dont ils ne sont pas ressortissants.

« Nous prenons la mesure de la gravité de la lutte contre le changement climatique », a déclaré le représentant du gouvernement britannique, Sudhanshu Swaroop, s’exprimant au nom des États incriminés.  

Mais « les requérants sont tous Portugais, résident au Portugal, ils relèvent de la juridiction du Portugal. Ils ne relèvent pas de la juridiction » des autres États, qui n’ont pas la capacité de les protéger face au réchauffement climatique, a-t-il soutenu.

« On peut féliciter ces jeunes de leur engagement pour cette cause, que l’on ne peut ignorer », a indiqué Ricardo Matos, représentant du gouvernement portugais.  

« Mais dans cette affaire, ils n’ont pas prouvé de préjudice. Leurs arguments portent sur les impacts du changement climatique, mais ne prouvent pas qu’ils sont des victimes personnelles. De simples conjectures ne suffisent pas ».

Les avocats des six Portugais ont appelé la Cour à ne pas « détourner les yeux ».  

Refuser de leur accorder une protection « reviendrait à dire que le problème est trop grand, trop compliqué et que les droits de l’homme […] sont en bout de course », a déclaré Alison Macdonald.

Elle a souligné qu’une « tonne de gaz à effet de serre émise en France a le même effet qu’une tonne venant du Portugal », et que ce pays n’avait « pas la capacité, à lui seul, de protéger les requérants ».

Elle a également qualifié « d’insuffisante » la stratégie de l’Union européenne, et ses déclinaisons nationales, de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, estimant qu’elle ne permettait pas de respecter l’objectif de réchauffement planétaire de 1,5 degré fixé dans l’Accord de Paris de 2015.

À l’issue de l’audience, la présidente a laissé deux semaines supplémentaires aux parties pour adresser des conclusions écrites aux questions formulées par les juges. La décision ne devrait pas être rendue avant plusieurs mois.

« Comprendre l’urgence »

« Les États ont cherché à échapper à l’examen minutieux de leur politique climatique, en se concentrant uniquement sur les critères de recevabilité de l’affaire », a déploré Gearóid O Cuinn, directeur du Global Legal Action Network (Glan), l’ONG qui accompagne les six requérants.

« Mais aucun gouvernement n’a réfuté les preuves que nous avons avancées, selon lesquelles leur politique conduit collectivement à 3 degrés de réchauffement ou plus », a-t-il observé après les débats.