Une proportion importante des barbottes brunes du lac Memphrémagog sont atteintes de mélanomes et parfois de métastases, ont découvert récemment les autorités environnementales du Québec et du Vermont. Une étude a été lancée sur le sujet pour tenter d’en déterminer les causes.

Ce qu’il faut savoir

  • Environ 30 % des barbottes brunes de plus de 20 cm prélevées dans le lac Memphrémagog présentent des mélanomes, voire des métastases.
  • Les autorités environnementales du Québec et du Vermont participent à une étude pour comprendre les causes de ces cancers.
  • Une maladie similaire a été observée plus récemment sur des achigans, aussi dans le Memphrémagog.

Ces poissons sont atteints du « mélanome de la barbotte brune », un cancer qui cause « des espèces de taches noires et une hyperpigmentation des zones affectées », a expliqué à La Presse le biologiste Jean-Sébastien Messier, du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) du Québec.

PHOTO FOURNIE PAR LE DÉPARTEMENT DE LA PÊCHE ET DE LA FAUNE DU VERMONT

Une barbotte brune présentant des mélanomes prélevée en mai dans le lac Memphrémagog

Les taches peuvent être présentes sur la peau, les nageoires ou la bouche de la barbotte brune (Ameiurus nebulosus), un poisson d’eau douce très commun au Québec.

« Il peut y avoir des métastases visibles sur certains organes, ça peut affecter presque l’ensemble de l’organisme, peut-être même les os », ajoute le biologiste, précisant ne pas savoir pour l’instant dans quelle mesure ces tumeurs sont incurables.

Le phénomène est préoccupant, juge Jean-Sébastien Messier. « On ne sait pas l’ampleur que ça peut prendre, les conséquences que ça peut avoir. [La barbotte brune] est une composante quand même importante de la biodiversité. »

« Je n’avais jamais vu ça »

Des barbottes brunes affectées par des mélanomes ont été signalées pour la première fois au Vermont vers 2012, mais le phénomène n’avait pratiquement pas été observé au Québec jusqu’à maintenant : seuls deux signalements ont été faits depuis 2018.

Florent Philibert est l’un de ceux qui ont informé les autorités québécoises du problème, après avoir pêché une demi-douzaine de barbottes affectées, à l’été 2022, non loin de la frontière.

« Parfois, la tache était tellement grosse qu’elle couvrait toute la tête », a-t-il raconté à La Presse.

Ça fait 30 ans que je pêche sur le lac Memphrémagog et je n’avais jamais vu ça.

Florent Philibert, pêcheur

Les premiers signalements ont pu être faits aux États-Unis parce que la barbotte y est davantage pêchée qu’au Québec, suppose Jean-Sébastien Messier.

Étude en cours

Le MELCCFP a procédé à la mi-mai à un échantillonnage dans le cadre d’une étude sur le sujet menée aux États-Unis ; une centaine de barbottes ont été prélevées dans trois endroits différents du Memphrémagog.

« Autour de 30 % des poissons de plus de 20 centimètres étaient affectés, présentaient des symptômes de la maladie », indique Jean-Sébastien Messier, ajoutant qu’un échantillonnage effectué par les autorités environnementales du Vermont du côté états-unien du lac a donné des résultats similaires.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA FAUNE ET DES PARCS DU QUÉBEC

Une équipe du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec effectue un échantillonnage de barbottes brunes dans le lac Memphrémagog, à la mi-mai.

L’analyse génétique des spécimens prélevés, qui sera menée aux États-Unis, devrait permettre de mieux connaître la maladie, son incidence et ses causes.

Le fait que le portrait de la situation soit similaire sur la centaine de kilomètres carrés du Memphrémagog « complique les hypothèses », explique Jean-Sébastien Messier.

L’hypothèse voulant que la maladie soit causée par un rejet de contaminants à un endroit précis du lac apparaît peu probable, car seuls les poissons de ce secteur seraient affectés si c’était le cas, explique-t-il, soulignant que la barbotte brune ne se déplace pas sur de longues distances.

Il s’agit plus probablement d’une combinaison de facteurs, postule le biologiste, évoquant le rayonnement ultraviolet, un virus, la génétique ou la pollution.

Site d’enfouissement

Certains pointent les eaux de lixiviation du site d’enfouissement de Coventry, près de Newport, qui sont rejetées dans un affluent du Memphrémagog après traitement, mais qui contiennent tout de même des substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS), communément appelées polluants éternels.

Lisez l’article « Les projets d’un dépotoir du Vermont inquiètent en Estrie »

C’est notamment parce que les premiers échantillonnages de barbottes affectées ont été faits dans ce secteur, indique Jean-Sébastien Messier.

« Maintenant, il y a des secteurs du lac où il n’y a aucune source [de contamination possible] qui pouvait être montrée du doigt, et on en voit quand même », dit-il, expliquant que des analyses plus poussées sont nécessaires pour pouvoir s’avancer sur une cause.

Un autre lac

Le mélanome de la barbotte brune a aussi été observé sur des poissons dans le lac Thor à Stratford, en Estrie (anciennement appelé lac Maskinongé), mais nulle part ailleurs pour l’instant.

« Il pourrait certainement y en avoir dans d’autres plans d’eau », croit Jean-Sébastien Messier, qui invite les pêcheurs à signaler tout poisson capturé présentant des anomalies à l’adresse courriel services.clientele@mffp.gouv.qc.ca, idéalement avec une photo et l’emplacement exact de l’observation.

Des taches semblables au mélanome de la barbotte brune ont par ailleurs été observées sur des achigans capturés dans le lac Memphrémagog, ce printemps, notamment par Florent Philibert.

PHOTO FOURNIE PAR FLORENT PHILIBERT

Un achigan affecté par des taches noires prélevé dans le lac Memphrémagog

Cette maladie de « l’achigan tacheté » est documentée aux États-Unis, mais encore assez peu connue au Québec, indique Jean-Sébastien Messier.

Dans les deux cas, il n’est pas recommandé de consommer les poissons affectés, souligne-t-il, même s’il n’y a rien qui indique qu’il y ait un enjeu pour la santé humaine.

Poissons, grenouilles et écrevisses morts dans la rivière Nicolet

Des poissons, des grenouilles et des écrevisses morts ont été observés le 2 juin dans la rivière Nicolet, à Wotton et à Val-des-Sources, en Estrie, déclenchant une intervention de trois jours du service Urgence-Environnement du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. « La cause de mortalité de poissons n’a pas été identifiée, mais celle-ci n’est plus active puisque des poissons vivants ont été [observés depuis] dans les secteurs touchés », a indiqué lundi à La Presse Frédéric Fournier, porte-parole du Ministère, ajoutant que le nombre d’animaux morts était indéterminé.

En savoir plus
  • 700
    Poids, en grammes, que peut atteindre la barbotte brune dans le fleuve Saint-Laurent
    Source : gouvernement du Québec
    30
    Taille maximale, en centimètres, que peut atteindre la barbotte brune au Québec
    Source : gouvernement du Québec