Les organisateurs des Jeux d’été de 2024 avaient promis un cours d’eau suffisamment propre pour la tenue d’épreuves.

(Paris) Un bateau de livraison électrique remonte la Seine, longe les anciens palais et les élégants musées, passe sous les ponts de pierres et de métal avant de tourner à la tour Eiffel et de glisser jusqu’à la berge.

Le capitaine, Arnaud Montand, trace le chemin prévu pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de l’été prochain et, sur le dernier segment de son itinéraire, le parcours des nageurs olympiques.

L’un des éléments clés de la candidature de Paris a été d’organiser des évènements non seulement sur le fleuve, mais aussi, et c’est remarquable, dans le fleuve.

  • Des plaisanciers assis sur le bord de la Seine près du pont Neuf, à Paris, le 20 mars dernier.

    PHOTO JAMES HILL, THE NEW YORK TIMES

    Des plaisanciers assis sur le bord de la Seine près du pont Neuf, à Paris, le 20 mars dernier.

  • Un bateau sur la Seine à Paris, le 2 mars dernier. En 2024, le fleuve devrait accueillir les triathloniens et les nageurs de fond des Jeux olympiques.

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    Un bateau sur la Seine à Paris, le 2 mars dernier. En 2024, le fleuve devrait accueillir les triathloniens et les nageurs de fond des Jeux olympiques.

  • Des ouvriers travaillant sur un projet visant à empêcher les eaux usées de se déverser dans la Seine, au Perreux-sur-Marne, à l’est de Paris, le 17 mars dernier.

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    Des ouvriers travaillant sur un projet visant à empêcher les eaux usées de se déverser dans la Seine, au Perreux-sur-Marne, à l’est de Paris, le 17 mars dernier.

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« Quelle belle fenêtre sur Paris », déclare M. Montand au volant de sa confortable cabine vitrée, à l’abri de la pluie battante. « Mais s’il y a un orage, tout sera foutu. »

Depuis des années, des ouvriers de l’agglomération parisienne mettent en œuvre ce que l’on appelle le « plan nage » – un rêve d’ingénieur, comprenant des milliers de nouvelles canalisations souterraines, des réservoirs et des pompes conçus pour empêcher les bactéries nocives de se déverser dans la Seine, en particulier pendant les orages. S’il est couronné de succès, ce plan permettra d’obtenir un fleuve suffisamment propre pour que les athlètes olympiques et, plus tard, les citoyens puissent s’y baigner.

« Avons-nous une garantie à 100 % ? La réponse est non », a indiqué Pierre Rabadan, adjoint à la maire chargé des projets olympiques, y compris le nettoyage de la Seine à temps pour qu’elle puisse accueillir deux courses de fond et les épreuves de natation du triathlon.

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Pierre Rabadan, adjoint à la maire de Paris chargé des projets olympiques, et ancien joueur de rugby de l’équipe de France

S’il pleut pendant une semaine continuellement avant les courses, nous savons que la qualité de l’eau, malgré tout le travail effectué, ne sera probablement pas excellente.

Pierre Rabadan, adjoint à la maire chargé des projets olympiques

Mais M. Rabadan a également déclaré qu’il n’y avait pas de plan de rechange : si les courses doivent être reportées, les organisateurs attendront simplement quelques jours, testeront la qualité de l’eau et recommenceront.

Point de repère liquide

Considérée par beaucoup comme le fleuve le plus romantique du monde, la Seine est aussi malodorante, trouble et, après les grandes soirées du samedi, bordée des résidus sales des fêtards. Lors de fortes pluies, un flot d’eaux usées se déverse des 40 puisards qui parsèment les rives pavées du fleuve.

C’est pourquoi de nombreux Parisiens – même certains qui travaillent sur le plan « Nager à Paris » – sont effrayés à l’idée de plonger dans le fleuve.

« Vous avez vu la Seine ? » Michael Rodrigues, du fond d’un trou dans un trottoir où il raccordait une nouvelle canalisation à une maison pour qu’elle ne suinte plus d’eaux usées dans le fleuve, a répondu : « Ça ne m’intéresse pas. »

Cela n’a pas toujours été le cas. Lors des premiers Jeux olympiques organisés à Paris, en 1900, sept épreuves de natation se sont déroulées dans le fleuve. Même après l’interdiction de la baignade en 1923, un an avant le retour des Jeux dans la ville, les habitants ont continué à plonger du pont d’Iéna pendant les chaudes journées d’été, la tour Eiffel s’élevant derrière eux tandis qu’ils se rafraîchissaient dans l’eau.

Mais le fleuve est de plus en plus pollué par les eaux usées et les déchets industriels. Dans les années 1990, une étude a classé le tronçon traversant Paris parmi les plus riches en métaux lourds au monde, selon un historique du fleuve.

Jacques Chirac, ancien maire de Paris puis président de la République française, a promis en 1990 de retourner à cette époque de baignade.

Cela ne s’est jamais produit.

« Ce n’était que de belles paroles », a souligné Jean-Marie Mouchel, hydrologue et professeur à l’Université de la Sorbonne, qui étudie la Seine depuis trois décennies. Bien que de nombreuses améliorations aient été apportées à la qualité de l’eau du fleuve, notamment grâce à la modernisation des stations d’épuration, « il n’y avait aucun projet de baignade dans la Seine avant 2020 », a-t-il déclaré.

Les Jeux olympiques ont changé la donne, non seulement en suscitant un plan, mais aussi en inspirant un budget de 1,4 milliard d’euros (environ 2,06 milliards de dollars canadiens) pour le mettre en œuvre.

Tuyaux et persuasion

L’objectif de toutes les agences impliquées est de rendre l’eau suffisamment propre pour que les niveaux de deux bactéries indicatrices – E. coli et les entérocoques intestinaux – soient inférieurs aux normes fixées par la directive européenne sur la baignade. Les normes olympiques autorisent des niveaux légèrement plus élevés, sous réserve de l’approbation d’un comité.

Des équipes françaises testent régulièrement l’eau de la Seine depuis 2020. L’été dernier, environ la moitié des échantillons ont atteint l’objectif fixé. Mais ces échantillons ont été prélevés sur un long tronçon du fleuve et de ses affluents au cours de trois mois d’été.

Lorsque les travailleurs ont testé le parcours des épreuves olympiques prévues – la partie natation du triathlon et deux épreuves de 10 kilomètres pour les hommes et les femmes – pendant deux semaines à la fin de l’été, période à laquelle auront lieu les Jeux olympiques, les résultats étaient acceptables à 90 %, ce qui signifie qu’un comité olympique devrait décider s’il y a lieu d’aller de l’avant.

M. Rabadan et d’autres membres de l’équipe municipale ont jugé ces résultats prometteurs, étant donné que l’essentiel du plan de natation n’a pas encore été mis en œuvre.

« Nous ne purifions pas la Seine », a expliqué Samuel Colin-Canivez, ingénieur en chef de la Ville chargé des projets d’assainissement, lors d’une visite guidée dans un tunnel fraîchement construit qui s’étend sous le fleuve.

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Samuel Colin-Canivez, ingénieur en chef de la Ville de Paris chargé des projets d’assainissement

Notre approche consiste à empêcher les eaux non traitées d’être déversées dans la Seine.

Samuel Colin-Canivez, ingénieur en chef de la Ville chargé des projets d’assainissement

Le tunnel de 700 mètres est relié à un énorme réservoir de stockage souterrain en cours de construction entre la gare d’Austerlitz et un hôpital vieux de 350 ans. À eux deux, ils pourront contenir 13,2 millions de gallons, soit assez d’eau pour remplir 20 piscines olympiques.

Le tunnel et le réservoir font partie des cinq grands projets d’ingénierie en cours de construction pour faire face aux orages, qui submergent désormais l’antique réseau d’égouts de Paris, et, plus important encore, pour acheminer à la fois les eaux usées et les eaux de pluie. Lorsque ces tunnels sont submergés par les eaux de pluie, ils déversent tout – eaux de pluie, d’évier et de toilettes – dans la Seine.

« À l’heure actuelle, cela se produit 12 fois par an lorsqu’il pleut beaucoup dans l’est de la ville », explique M. Colin-Canivez en faisant le tour du réservoir partiellement construit. Une fois achevé, le réservoir géant retiendra l’eau pendant les orages et la réintroduira lentement dans le réseau d’égouts après la fin des pluies. « Notre objectif est de réduire ce total à deux fois. »

Il s’agit là de la stratégie par temps de pluie visant à empêcher les eaux usées de se déverser dans la Seine. La stratégie par temps sec implique une autre série de projets. Certains sont simples, comme l’ajout de traitements spéciaux à deux stations d’épuration situées en amont. La plus grande station, Seine-Valenton, absorbe les eaux usées de 2,5 millions d’habitants, à un peu moins de 10 km au sud-ouest de Paris. Lorsque de petites quantités d’acide performique seront introduites dans ses rejets en juin, les niveaux de bactéries fécales nocives seront réduits de 100 fois, a déclaré Vincent Rocher, directeur de l’innovation à la Régie de l’assainissement de l’agglomération parisienne.

D’autres sont plus modestes et plus personnelles, comme les équipes qui font du porte-à-porte dans six banlieues de Paris pour tenter de persuader plus de 20 000 propriétaires de permettre à des ouvriers de creuser leurs canalisations et de les reconnecter correctement au réseau d’égouts. C’est le nombre de maisons où on soupçonne le rejet des eaux usées dans la Seine ou la Marne.

« Maison par maison », explique Claire Costel, qui dirige le projet dans la région située juste au sud-est de Paris. « Il n’y a pas d’autre solution. »

Tension de surface

À l’intérieur de la ville de Paris, ce ne sont pas les maisons que les ouvriers visent, mais les bateaux. Quelque 170 d’entre eux sont amarrés le long des berges de la Seine, en amont des sites olympiques. Jusqu’à récemment, presque tous déversaient leurs eaux usées directement dans le fleuve.

En 2018, la Ville a déclaré que tous les bateaux devaient être raccordés au réseau d’égouts, et l’autorité portuaire a entamé le coûteux processus d’installation de raccordements et de pompes dans les ports qui n’en disposaient pas.

Les habitants de l’eau ont eu deux ans pour installer des systèmes de collecte des eaux usées sur leur bateau. À ce jour, seulement la moitié d’entre eux ont effectué les travaux, selon les employés de la Ville.

De nombreux propriétaires de bateau se sont plaints d’être injustement visés. Contrairement à leurs voisins terrestres, ils n’ont pas eu le choix, et la mise en conformité des vieux bateaux peut coûter jusqu’à 25 000 euros, soit cinq fois plus que les subventions accordées par le gouvernement.

PHOTO JAMES HILL, THE NEW YORK TIMES

Hervé Lavollée, dans la cabine de sa péniche, dans le centre de Paris, le 16 mars dernier

Hervé Lavollée, qui vit sur une péniche rénovée de 1937 amarrée près d’une passerelle piétonne au cœur de Paris, a déclaré : « Pensez-vous que le parc à bateaux situé à 30 kilomètres de Paris va se raccorder à un réseau d’assainissement ? Ils font du bruit sur tout cela pour le journal de 20 h afin de donner l’impression qu’ils font beaucoup, mais c’est ridicule. »

Lisez l’article original du New York Times (en anglais, abonnement requis)