Les propos du premier ministre Stephen Harper sur l'impossibilité de vaincre les insurgés en Afghanistan ont soulevé beaucoup de commentaires hier, tant chez ceux qui dénoncent la mission que chez ceux qui l'appuient.

La Presse a ainsi pu joindre les pères de deux soldats tués en Afghanistan. Si l'un et l'autre avaient des visions diamétralement opposées quant à la valeur de la mission, ils s'entendaient pour critiquer, à leur façon, cette sortie.

 

«Cela aurait dû être fait bien avant, a lancé Guy Roberge, le père de l'adjudant-chef Gaétan Roberge, tué par un engin explosif improvisé le 27 décembre dernier. Qu'est-ce que nous faisons là? J'ai toujours été contre cette guerre qui tue nos enfants. On ne devrait pas attendre 2011 pour partir.»

En Nouvelle-Écosse, Jim Davis, dont le fils Paul est mort le 2 mars 2006 en Afghanistan, croit au contraire que la mission doit se poursuivre. Mais que les propos du premier ministre constituent une «attitude défaitiste» et un mauvais message à envoyer aux autres pays de l'OTAN qui ont des troupes déployées dans ce pays.

«On va défaire les talibans, mais cela va prendre du temps, dit-il. Si j'étais le premier ministre Harper, j'essaierais de partager l'expérience canadienne avec les Américains (qui comptent déployer 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan cette année). Au lieu de cela, c'est comme si on venait de dire à l'équipe nationale canadienne de hockey de ne pas jouer contre les Russes parce qu'ils sont sûrs de se faire battre.»

M. Davis a fait parler de lui lors de la dernière campagne électorale fédérale à la suite de propos désobligeants d'un organisateur conservateur à son endroit parce qu'il était un militant libéral et critiquait la façon dont la mission était conduite.

Hier, il était pour le moins étonné de comparer les propos de M. Harper à ceux du lieutenant-général Andrew Leslie le jour même dans le quotidien The Chronicle Herald. Chef de l'armée de terre, le lieutenant-général Leslie affirmait que les soldats canadiens avaient beaucoup appris de leur déploiement à Kandahar depuis la fin de 2005 et que cette expérience serait fort précieuse pour l'avenir.

Un message à Karzaï

Directeur du Centre for Military and Strategic Studies de l'Université de Calgary, David Bercuson n'est pas étonné des propos du premier ministre. Il y voit un message au gouvernement Karzaï. Pour gagner la guerre, ce dernier doit mettre fin à la corruption dans son gouvernement. Et la population afghane doit s'engager davantage, soutient-il.

«Lorsque le rapport Manley a été remis au premier ministre, les médias se sont concentrés sur le fait qu'on réclamait plus de troupes, d'hélicoptères et de drones. Mais dans le reste du rapport, on s'inquiétait du manque d'efforts du côté afghan», dit-il.

À l'Institut Rideau, organisme de recherche indépendant, on voit les choses bien autrement. Pour le directeur des programmes, Anthony Salloum, Stephen Harper prépare le terrain pour sauver la face au moment du retrait canadien en 2011.

«Il se rattrape sur tout le monde qui affirme depuis longtemps avant lui qu'on ne pourra gagner contre les insurgés, dit-il. En fait, il change son discours voulant qu'il faille rester pour finir le travail. Il sait que s'il n'assouplit pas sa position, les gens lui diront «tu as perdu» au moment du retrait des militaires canadiens.»

M. Salloum croit de plus que M. Harper rend ainsi service au président Barack Obama dont l'approche en Afghanistan sera bien différente de celle de George W. Bush, qui ne comptait que sur la solution militaire. «Mais je déplore, dit-il, que M. Harper ait fait cette sortie chez les Américains et non chez nous.»