(Montréal) Deux croix en bois qui ont été façonnées à partir de l’épave d’un navire échoué en Nouvelle-Zélande sont de retour au Québec pour honorer le souhait d’un Canadien français qui s’est rebellé contre la domination britannique il y a plus de 185 ans.

François-Xavier Prieur faisait partie des dizaines de patriotes qui ont été déportés en Australie à bord du HMS Buffalo en raison de leur participation à la rébellion de 1837-1838 au Bas-Canada. Dans ses mémoires, il a évoqué son désir de voir des morceaux du navire être renvoyés chez lui en souvenir de ce qu’il a subi.

En mai, son souhait a finalement été exaucé, grâce à une équipe de tournage québécoise et australienne et à des responsables en Nouvelle-Zélande, où le HMS Buffalo a fait naufrage en 1840, peu de temps après l’arrivée de M. Prieur en Australie.

Kurt Bennett, qui travaille pour l’organisme Heritage New Zealand et qui est membre du HMS Buffalo Re-examination Project, a aidé à organiser une cérémonie en avril pour marquer le début du voyage des croix vers le Québec. Selon lui, cet évènement a été très émouvant.

« Je pense que ça nous a vraiment fait prendre conscience que nous étions en train d’exaucer le souhait que quelqu’un a formulé il y a 185 ans », a-t-il récemment confié en entrevue avec La Presse Canadienne.

Le 22 mai, à l’occasion de la Journée nationale des patriotes, les deux petites croix ont été présentées aux descendants de M. Prieur dans une église de Saint-Polycarpe lors d’une cérémonie spéciale.

Toute cette histoire s’est amorcée en 2022 avec une projection spéciale du documentaire La baie des exilés, qui raconte l’histoire de M. Prieur et des 57 autres patriotes déportés en Australie à bord du navire.

Le documentaire du cinéaste canado-australien Deke Richards a captivé l’imaginaire du directeur d’un bureau d’Heritage New Zealand, Bill Edwards, qui a ensuite lu une traduction des mémoires de M. Prieur et a été ému par ses écrits.

« Un blessé garde comme souvenir la balle ou l’éclat d’obus qu’on a retiré de ses chairs déchirées. Eh bien ! moi, j’aimerais à posséder une petite croix faite du bois dont est construite cette frégate, dans les flancs de laquelle et mon cœur et mon corps ont été lacérés par d’indignes traitements », a écrit François-Xavier Prieur dans ses mémoires.

Dans ses Notes d’un condamné politique de 1838, M. Prieur a décrit son voyage exténuant de cinq mois sur le navire, où les prisonniers étaient détenus dans des quartiers exigus et non ventilés sous le pont et devaient vivre avec la vermine, le scorbut et le mal de mer.

C’est à la lecture de cet ouvrage que M. Edwards a décidé de mettre la main à la pâte « pour faire fabriquer ces croix, qui auraient dû être faites il y a 180 ans », a-t-il mentionné.

Trois croix ont donc été façonnées à partir du bois de l’épave du HMS Buffalo, qui se trouve dans la baie de Mercury, au large de Whitianga, en Nouvelle-Zélande. L’une est demeurée en Nouvelle-Zélande, tandis que les deux autres ont été envoyés au Québec.

La cérémonie qui a eu lieu en mai à Saint-Polycarpe a été un moment très spécial pour Gilles Boismenu et Ronald Prieur, qui sont des descendants de François-Xavier Prieur.

M. Boismenu, âgé de 72 ans, s’est dit particulièrement fier d’en savoir plus sur l’histoire de sa famille.

« C’est une source de fierté dans ma famille. Ça fait partie de mon histoire », a-t-il souligné lors d’un entretien téléphonique avec La Presse Canadienne.

Source d’inspiration

Samuel Pineault, le coproducteur du documentaire, a expliqué que l’histoire du film met en lumière l’influence que les patriotes ont eue sur l’Australie et la Nouvelle-Zélande au cours des années qu’ils y ont passées.

Puisque les niveaux d’alphabétisation étaient faibles dans ces pays à l’époque, les journaux des hommes exilés sont quelques-uns des rares récits écrits qui existent de l’époque, a-t-il dit.

En outre, l’arrivée de personnes bien éduquées de l’étranger « a un peu inspiré les gens, y compris en Nouvelle-Zélande, pour qu’ils développent leurs propres démocraties », a-t-il noté.

La réalisation du documentaire a pris plusieurs années, selon M. Pineault, qui attend toujours un financement pour obtenir les autorisations nécessaires pour diffuser son documentaire à grande échelle.

Après la cérémonie, les croix ont été remises à M. Pineault, qui précise qu’elles seront éventuellement offertes à des musées. M. Boismenu et lui espèrent que ces reliques du passé pourront être utilisées pour faire connaître ce chapitre méconnu de l’histoire du Québec.